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OEUVRES

COMPLETES

DE BUFFON.

TOME XIII.

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ANIMAUX.

IV.

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OEUVRES

COMPLETES

DE BUFFON

AUGMENTEES

PAR M. F. CUVIER,

MEMBRE DE l'INSTITUT,

(Académie des Sciences)

DE DEUX VOLUMES

OFFRANT LA DESCRIPTION DES MAM31IFÈRES ET

DES OISEAUX LES PLUS REMARQUABLES

DÉCOUVERTS JUSQUA CE JOUR,

ET ACCOMPAGNEES

D VIS BEAU PORTRAIT DE BCTFON ET DE 7OO FIGL'RES,

EXÉCUTÉS SUR ACIER POUR CETTE ÉDITION

PAR LES MEILLEURS ARTISTES.

A PARIS,

CHEZ F. D. PILLOT, ÉDITEUR,

nut DE SEiIS.i:-SAliST-GEKMAIIN'j JN" 49-

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HISTOIRE

DES ANIMAUX.

IV.

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ESSAI

D'ARITHMETIQUE MORALE.

I. Je n'entreprends point ici de donner des essais sur la morale en général; cela demanderoit plus de lu- mières que je ne m'en suppose, et plus d'art que je ne m'en reconnois. La première et la plus saine partie de la morale est plutôt une application des maximes de notre divine religion qu'une science humaine; et je me garderai bien d'oser tenter des matières la loi de Dieu fait nos principes, et la foi notre calcul. La reconnoissance respectueuse ou plu- tôt l'adoration que l'homme doit à son Créateur, la charité fraternelle ou plutôt l'amour qu'il doit à. son prochain, sont des sentiments naturels et des vertus écrites dans une âme bien faite : tout ce qui émane de celte source pure porte le caractère de la vérité; la lumière en est si vive que le prestige de l'erreur ne peut l'obscurcir; l'évidence si grande qu'elle n'ad- met ni raisonnement, ni délibération, ni doute, et n'a d'autres mesures que la conviction.

La mesure des choses incertaines fait ici mon ob- jet ; je vais tâcher de donner quelques règles pour estimer les rapports de vraisemblance, les degrés de

8 DE l'homme.

probabililc, le poids des témoignages, rînfliience des hasards, l'inconvénient des risques, et juger en même temps de la valeur réelle de nos craintes et de nos espérances.

II. Il y a des vérités de différents genres , des cer- titudes de différents ordres, des probabilités de différents degrés. Les vérités qui sont purement in- tellectuelles, comme celles de la géométrie, se rédui- sent toutes à des vérités de définition : il ne s'agit pour résoudre le problème le plus difficile que de le bien entendre; et il n'y a dans le calcul et dans les autres sciences purement spéculatives d'autres diffi- cultés que celles de démêler ce que nous y avons mis, et de délier les nœuds que l'esprit humain s'est fait une étude de nouer et serrer d'après les délinitions et les suppositions qui servent de fondement et de trame à ces sciences. Toutes leurs propositions peu- vent loujours être démontrées évidemment, parce qu'on peut toujours remonter de chacune de ces pro- positions à d'autres propositions antécédentes qui leur sont identiques, et de celles-ci à d'autres, jus- qu'aux définitions. C'est par cette raison que l'évi- dence proprement dite appartient aux sciences ma- thématiques et n'appartient qu'à elles; car on doit distiniruer l'évidence du raisonnement, de l'évidence qui nous vient par les sens, c'est-à-dire l'évidence intellectuelle de l'intuition corporelle : celle-ci n'est qu'une appréhension nette d'objets ou d'images; l'au- tre est une comparaison d'idées semblables ou iden- tiques, ou plutôt c'est la perception immédiate de leur identité.

III. Dans les sciences physiques, l'évidence est

ESSAI DARITHMÉTlQUli MOUALr.. 9

reaiplacéé par la certilude : l'évidence n'est pas sus- ceptible de mesure, parce qu'elle n'a qu'une seule propriété absolue, qui est la négation nette ou l'affir- Qjation de la chose qu'elle démontre ; mais la certi- tude, n'étant jamais d'un positif absolu , a des rap- ports que l'on doit comparer et dont on peut estimer la mesure. La certitude physique, c'est-à-dire la cer- titude de toutes la plus certaine, n'est néanmoins que la probabilité presque infinie, qu'un efl'el, un évé- nement qui n'a jamais manqué d'arriver, arrivera en- core une fois : par exemple, puisque le soleil s'est tou- jours levé , il est dès lors physiquement certain qu'il se lèvera demain. Une raison pour être, c'est d'avoir été : mais une raison pour cesser d'être, c'est d'avoir commencé d'être ; et par conséquent l'on ne peut pas dire qu'il soit également certain que le soleil se lè- vera toujours, à moins de lui supposer une éternité antécédente, égale à la perpétuité subséquente; au- trement il finira puisqu'il a commencé ; car nous ne devons juger de l'aveni-r que par la vue du passé ; dès qu'une chose a toujours èic , ou qu'elle s'est toujours faite de la môme façon , nous devons être assurés qu'elle sera ou se fera toujours de cette même façon : par toujours j'entends un très long temps, et non pas une éternité absolue, le toujours de l'avenir n'étant jamais qu'égal au toujours du passé. L'absolu, de quelque genre qu'il soit , n'est ni du ressort de la na- ture , ni de celui de l'esprit humain. Les hommes ont regardé comme des effets ordinaires et naturels tous les événements qui ont cette espèce de certitude phy- sique : un elfet qui arrive toujours cesse de nous étonner; au contraire, un phénomène qui n'auroit

10 Dli L HOMME.

jamais paru, ou qui, étant toujours arrivé de même façon , cesseroit d arriver ou arriveroit d'une façon diflferente, nous étonneroit avec raison, et seroit un événement qui nous paroîtroit si extraordinaire que nous le regarderions comme surnaturel.

IV, Ces effets naturels qui ne nous surprennent pas ont néanmoins tout ce qu'il faut pour nous étonner : quel concours de causes, quel assemblage de princi- pes ne faut-il pas pour produire un seul insecte, une seule plante! quelle prodigieuse combinaison d'élé- ments, de mouvements, et de ressorts dans la machine animale! Les plus petits ouvrages de la nature sont des sujets de la plus grande admiration. Ce qui fait que nous ne sommes point étonnés de toutes ces mer- veilles, c'est que nous sommes nés dans ce monde de merveilles, que nous les avons toujours vues, que notre entendement et nos yeux y sont également accou- tumés, enfin que toutes ont été avant et seront encore après nous. Si nous étions nés dans un autre monde avec une autre forme de corps et d'autres sens nous aurions eu d'autres rapports avec les objets extérieurs, nous aurions vu d'autres merveilles, et n'en aurions pas été plus surpris; les unes et les autres sont fon- dées sur l'ignorance des causes, sur l'impossibilité de connoître la réalité des clioses dont il ne nous est per- mis d'apercevoir que les relations qu'elles ont avec nous-mêmes.

Il y a donc deux manières de considérer les effets naturels : la première est de les voir tels qu'ils se pré- sentent à nous, sans faire attention aux causes, ou plutôt sans leur chercher de causes; la seconde, c'est d'examiner les effets, dans la vue de les rapporter à

ESSAI D ARITHMÉTIQUE MORALE. Il

des principes et à des causes. Ces deux points de vue soQt fort différents, et produisent des raisons diffé- rentes d'étonnement ; l'un cause la sensation de la surprise, et l'autre fait naître le sentiment de l'admi- ration.

V. Nous ne parlerons ici que de cette première manière de considérer les effets de la nature; quelque incompréhensibles, quelque compliqués qu'ils nous paroissent, nous les jugerons comme les plus évidents et les plus simples, et uniquement par leurs résultats : par exemple, nous ne pouvons concevoir ni même imaginer pourquoi la matière s'attire, et nous nous contenterons d'être sûrs que réellement elle s'attire; nous jugerons dès lors qu'elle s'est toujours attirée, et qu'elle continuera toujours de s'attirer. Il en est de même des autres phénomènes de toute espèce : quel- que incroyables qu'ils puissent nous paroître nous les croirons si nous sommes sûrs qu'ils sont arrivés très souvent; nous en douterons s'ils ont manqué aussi souvent qu'ils sont arrivés; enfin nous les nierons si nous croyons être sûrs qu'ils ne sont jamais arrivés : en un mot , selon que nous les aurons vus et reconnus, ou que nous aurons vU et reconnu le contraire.

Mais si l'expérience est la base de nos connoissan- ces physiques et morales, l'analogie en est le premier instrument : lorsque nous voyons qu'une chose arrive constamment d'une certaine façon, nous sommes as- surés, par notre expérience, qu'elle arrivera encore de la même façon; et lorsque l'on nous rapporte qu'une chose est arrivée de telle ou telle ma- nière, si ces faits ont de l'analogie avec les autres faits que nous connoissons par nous-mêmes, dès lors

12 DEL HOMME.

nous les croyons; au contraire, si le fait n'a aucune analogie avec les effets ordinaires, c'est-à-dire avec les choses qui nous sont connues, nous devons en dou- ter ; et s'il est directement opposé à ce que nous con- noissons nous n'hésitons pas à le nier.

VI. L'expérience et l'analogie peuvent nous donner des certitudes différentes à peu près égales, et quel- quefois de même genre : par exemple, je suis presque aussi certain de l'existence de la ville de Constantino- . pie que je n'ai jamais vue, que de l'existence de la lune que j'ai vue si souvent, et cela parce que les témoigna- ges en grand nombre peuvent produire une certitude presque égale à la certitude physique, lorsqu'ils por- tent sur des choses qui ont une pleine analogie avec celles que nous connoissons. La certitude physique doit se mesurer par un nombre immense de probabi- lités, puisque cette certitude est produite par une suite constante d'observations qui font ce qu'on ap- pelle l'expérience de tous les temps, La certitude mo- rale doit se mesurer par un moindre nombre de pro- babilités, puisqu'elle ne suppose qu'un certain nombre d'analogies avec ce qui nous est connu.

En supposant un homme qui n'eût jamais rien vu, rien entendu, cherchons comment la croyance et le doute se produiroient dans son esprit : supposons-le frappé pour la première fois par l'aspect du soleil ; il le voit briller au haut des cieux, ensuite décliner, et enfin disparoître : qu'en peut-il conclure? rien, sinon qu'il a vu le soleil, qu'il l'a vu suivre une certaine route , et qu'il ne le voit plus. Mais cet astre repa- roît et disparoît encore le lendemain ; cette seconde vision est une première expérience qui doit produire

ESSAI d'arithmétique MORALE. l3

en lui l'espérance de revoir le soleil , et il commence à croire qu'il pourroit revenir ; cependant il en doute beaucoup. Le soleil reparoît de nouveau ; cette troi- sième vision fait une seconde expérience qui diminue le doute autant qu'elle augmente la probabilité d'un troisième retour. Une troisième expérience Taug- mente au point qu'il ne doute plus guère que le so- leil ne revienne une quatrième fois; et enfin, quand il aura vu cet astre de lumière paroître et disparoître régulièrement dix , vingt, cent fois de suite, il croira être certain qu'il le verra toujours paroître, disparoî- tre, et se mouvoir de la même façon. Plus il aura d'observations semblables , plus la certitude de voir le soleil se lever le lendemain sera grande. Chaque observation, c'est-à-dire cliaque jour produit une pro- babilité, et la somme de ces probabilités réunies, dès qu'elle est très grande , donne la certitude physique. L'on pourra donc toujours exprimer cette certitude par les nombres, en datant de l'origine du temps de notre expérience , et il en sera de même de tous les autres effets de la nature : par exemple, si Ion veut réduire ici l'ancienneté du monde et de notre expé- rience à six mille ans, le soleil ne s'est levé pour nous* que 2 millions 190 mille fois; et comme, à dater du second jour qu'il s'est levé, les probabilités de se le- ver le lendemain augmentent, comme la suite i , 2, 4, 8, 16, 02 , 64..- ou 2"~', on aura (lorsque, dans la suite naturelle des nombres , n est égal à 2 1 90000) , on aura , dis-je , 2"-' = 2i89999 . ^g q^j ^3^ ^yj^ i,q

nombre si prodigieux que nous ne pouvons nous en

1. Je dis pour nous, ou plulôt pour noire climat, car cela ne seroit pas exactement vrai pour le climat des pôles.

l4 DE l'homme.

former une idée ; et c est par cette raison qu'on doit regarder la certitude physique comme composée d'une immensité de probabilités, puisque en recu- lant la date de la création seulement de deux milliers d'années, cette immensité de probabilités devient

22000 fois plus que 22189999.

VII. Mais il n'est pas aussi aisé de faire l'estimation de la valeur de l'analogie , ni par conséquent de trou- ver la mesure de la certitude morale : c'est, à la vé- rité, le degré de probabilité qui fait la force du rai- sonnement analogique; et en elle-même l'analogie n'est que la somme des rapports avec les choses con- nues. Néanmoins, selon que cette somme ou ce rap- port en général sera plus ou moins grand, la consé- quence du raisonnement analogique sera plus ou moins sûre, sans cependant être jamais absolument certaine : par exemple, qu'un témoin, que je sup- pose de bon sens, nie dise qu'il vient de naître un enfant dans cette ville je le croirai sans hésiter, le fait de la naissance d'un enfant n'ayant rien que de fort ordinaire, mais ayant au contraire une infinité de rap- ports avec les choses connues, c'esl-dire avec la nais- sance de tous les autres enfants; je croirai donc ce fait , sans cependant en être absolument certain. Si le même homme me disoit que cet enfant est avec deux têtes je le croirois encore, mais plus foiblement, un enfant avec deux têtes ayant moins de rapport avec les choses connues. S'il ajoutoit que ce nouveau-né a non seulement deux têtes, mais qu'il a encore six bras et huit jambes , j'aurois , avec raison , bien de la peine à le croire; et cependant, quelque foible que fut ma croyance, je ne pourrois la lui refuser en en-

ESSAI d'arithmétique MORALE. l5

lier, ce monstre, quoique fort extraordinaire, n'é- tant néanmoins composé que de parties qui ont toutes quelque rapport avec les choses connues , et n'y ayant ([ue leur assemblage et leur nombre de fort extraor- dinaire. La force du raisonnement analogique sera donc toujours proportionnelle à l'analogie elle-même, c'est-à-dire au nombre des rapports avec les choses connues; et il ne s'agira, pour faire un bon raison- nement analogique, que de se mettre bien au fait de toutes les circonstances analo2:ues , sommer le nom- bre de celles-ci , prendre ensuite un modèle de com- paraison auquel on rapportera cette valeur trouvée ,. et Ton aura au juste la probabilité, c'est-à-dire le degré de force du raisonnement analogique.

YIII. Il y a donc une distance prodigieuse entre la certitude physique et l'espèce de certitude qu'on peut déduire de la plupart des analogies : la première est une somme immense de probabilités qui nousforce à croire ; l'autre n'est qu'une probabilité pins ou moins grande , et souvent si petite qu'elle nous laisse dans la perplexité. Le doute est toujours en raison inverse de la probabilité, c'est-à-dire qu'il est d'autant plus grand que la probabilité est plus petite. Dans l'ordre des certitudes produites par l'analogie on doit placer la certitude morale ; elle semble même tenir le milieu entre le doute et la certitude physique ; et ce milieu n'est pas un point, mais une ligne très étendue, et de laquelle il est bien diflicile de déterminer les li- mites. On sent bien que c'est un certain nombre de probabilités qui fait la certitude morale; mais quel est ce nombre ? et pouvons-nous espérer de le déter-

l6 DE l'homme.

miner aussi précisément que celui par lequel nous venons de représenter la certitude physique ?

Après y avoir réfléchi j'ai pensé que , de toutes les probabilités morales possibles, celle qui affecte le plus riiomme en général, c'est la mort; et j'ai senti dès lors que toute crainte ou toute espérance dont la probabilité seroit égale h celle qui produit la crainte de la mort peut , dans le moral , être prise pour l'u- nité à laquelle on doit rapporter la mesure des autres craintes; et jy rapporte de même celles des espé- rances , car il n'y a de différence entre l'espérance et la crainte que celle du positif au négatif; et les pro- babilités de toutes deux doivent se mesurer de la môme manière. Je cherche donc quelle est réellement la probabilité qu'un homme qui se porte bien, et qui par conséquent n'a nulle crainte de la mort, meure néanmoins dans les vingt-quatre heures. En consul- tant les tables de mortalité je vois qu'on en peut dé- duire qu'il n'y a que dix mille cent quatre-vingt-neuf à parier contre un qu'un homme de cinquante-six ans vivra plus d'un jour^. Or comme tout homme de cet âge, la raison a acquis toute sa maturité, et l'ex- périence toute sa force , n'a néanmoins nulle crainte de la mort dans les vingt-quatre heures, quoiqu'il n'y ait que dix mille cent quatre-vingt-neuf à parier contre un qu'il ne mourra pas dans ce court inter- valle de temps, j'en conclus que toute probabilité égale ou plus petite doit être regardée comme nulle, et que toute crainte ou toute espérance qui se trouve au dessous de dix mille ne doit ni nous affecter, ni

1. Voyez , plu» loin, le résultat des tables de moilaiité.

ESSAI d'aHITHMÉ TIQUE MOUALE. 17

même nous occuper un seul instant le cœur ou la tele^

Pour me faire mieux entendre, supposons que clans une loterie il n'y a qu'un seul lot et dix mille billets, un homme ne prenne qu'un billet : je dis que la probabilité d'obtenir le lot n'étant que d'un contre dix mille son espérance est nulle, puisqu'il n'y a pas plus de probabilité, c'est-à-dire de raison d'espérer le lot qu'il y en a de craindre la mort dans les vingt- quatre heures, et que cette crainte ne l'affectant en aucune façon l'espérance du lot ne doit pas l'affecter

1. Ayant communiqué cette idée à M. Daniel Bernoulli , Tua des plus grands géomètres de notre siècle , et le plus versé de tous dans la science des probabililés, voici la réponse qu'il m'a faite par sa let- tre datée de Bâle ie 19 mars 1762.

« J'approuve fort , monsieur , votre manière d'estimer les limites des probabilités morales : vous consultez la nature de l'homme par ses actions, et vous supposez en fait que personne ne s'inquiète le matin s'il mourra ce jour ; cela étant, comme il meurt, selon vous, un sur dix mille, vous concluez qu'un dix-millième de probabilité ne doit faire aucune impression dans l'esprit de Ihomme, et par conséquent que ce dix-millième doit être regardé comme un rien absolu. C'est sans doute raisonner en mathématicien philosophe : mais ce principe ingé- nieux semble conduire à une quantité plus petite, car l'exemption de frayeur n'est assurément pas dans ceux qui sont déjà malades. Je ne combats pas votre principe; mais il paroît plutôt conduire à Viooooo qu'à Vioûoo »

J'avoue à M. Bernoulli que comme le dix-millième est pris d'après les tables de mortalité, qui ne représentent jamais que Vhomme moyen, c'est-à-dire les hommes en général, bien portants ou malades, sains ou infirmes, vigoureux ou foibles, il y a peut-être un peu plus de dix njille à parier contre un, qu'un homme bien portant, sain et vigou- reux, ne mourra pas dans les vingt-quatre heures; mais il s'en faut bien que cette probabilité doive être augmentée jusqu'à cent mille. Au reste, cette différence, quoique très grande, ne change rien aux principales conséquences que je tire de mon principe.

l8 DE l'homme.

davantage, et même encore beaucoup moins, puis- que l'intensité de la crainte de la mort est bien plus grande que l'intensité de toute autre espérance. Si, malgré l'évidence de cette démonstration, cet homme s'obstinoit à vouloir espérer, et qu'une semblable loterie se tirant tous les jours il prît chaque jour un nouveau billet , comptant toujours obtenir le lot, on pourroit, pour le détromper, parier avec lui , but à but, qu'il seroit mort avant d'avoir gagné le lot.

Ainsi, dans tous les jeux, les paris, les risques, les hasards, dans tous les cas, en un mot, la proba- bilité est plus petite que Vioooo ^^'^ ^^^* ^^*'^ ^^ ^^^ ^^ effet pour nous absolument nulle ; et , par la même raison , dans tous les cas cette probabilité est plus grande que loooo elle fait pour nous la certitude mo- rale la plus complète.

IX. De nous pouvons conclure que la certitude plîysique est à la morale :: ^2189999 . loooo , et que toutes les fois qu'un effet dont nous ignorons absolu- ment la cause arrive de la même façon treize ou qua- torze fois de suite , nous sommes moralement certains qu'il arrivera encore de même une quinzième fois, car 2^^ = 8192, et 2*^= i6584> et, par conséquent, lorsque cet effet est arrivé treize fois, il y a 8192 à parier contre 1 qu'il arrivera une quatorzième fois ; et, lorsqu'il est arrivé quatorze fois, il y a i6384 à parier contre 1 qu'il arrivera de niême une quinzième fois ; ce qui est une probabilité plus grande que celle de 10000 contre i , c'est-à-dire plus grande que la probabilité qui fait la certitude morale.

On pourra peut-être me dire que, quoique nous

liSSAI DARrruaiÉTIQUK MORALE. IC)

n'ayons pas la crainte ou la peur de la mort subite, il s'en faut bien que la probabilité de la mort subite soit zéro, et que son influence sur notre conduite soit nulle moralement. Un homme dont l'ame est belle, lorsqu'il aime quelqu'un, ne se reprocheroit- il pas de retarder d'un jour les mesures qui doivent assurer le bonheur de la personne aimée? Si un ami nous confie un dépôt considérable ne mettons-nous pas, le jour même, une apostille à ce dépôt? Nous agissons donc, dans ce cas, comme si la probabilité de la mort subite étoit quelque chose, et nous avons raison d'agir ainsi. Donc l'on ne doit pas regar- der la probabilité de la mort subite comme nulle en ijjénéral.

Cette espèce d'objection s'évanouira si l'on consi- dère que l'on fait souvent plus pour les autres que l'on ne feroitpour soi : lorsqu'on met une apostille au moment môme qu'on reçoit un dépôt, c'est unique- ment par honnêteté pour le propriétaire du dépôt, pour sa tranquillité , et point du tout par la crainte de notre mort dans les vingt-quatre heures. Il en est de même de l'empressement qu'on met à faire le bon- heur de quelqu'un ou le nôtre : ce n'est pas le sentiment de la crainte d'une mort si prochaine qui nous guide ^ c'est notre propre satisfaction qui nous anime; nous cherchons à jouir en tout le plus tôt qu'il nous est possible.

Un raisonnement qui pourroit paroître plus fondé, c'est que tous les hommes sont portés à se flatter, que l'espérance semble naître d'un moindre degré de probabilité que la crainte , et que par conséquent on n'est pas en droit de substituer la mesure de l'une à

*20 DE L HOMME.

la mesure de Tautre. La crainte et l'espérance sont des sentiments, et non des déterminations; il est possible, il est même plus que vraisemblable que ces sentiments ne se mesurent pas sur le degré précis de prodigalité ; et dès lors doit-on leur donner une me- sure égale, ou même leur assigner aucune mesure?

A cela je réponds que la mesure dont il est ques- tion ne porte pas sur les sentiments, mais sur les rai- sons qui doivent les faire naître , et que tout homme sage ne doit estimer la valeur de ces sentiments de crainte ou d'espérance que par le degré de probabi- lité; car quand même la nature, pour le bonheur de l'homme, lui auroit donné plus de pente vers l'espé- rance que vers la crainte , il n'en est pas moins vrai que la probabilité ne soit la vraie mesure et de l'une et de l'autre. Ce n'est même que par l'application de cette mesure que l'on peut se détromper sur ses fausses espérances, ou se rassurer sur ses craintes mal fondées.

Avant de terminer cet article je dois observer qu'il faut prendre garde de se tromper sur ce que j'ai dit des effets dont nous ne connoissons pas la cause; car j'entends seulement les effets dont les causes , quoi- que ignorées, doivent être supposées constantes, telles que celles des effets naturels. Toute nouvelle découverte en physique constatée par treize ou qua- torze expériences, qui toutes se confirment, a déjà un degré de certitude égal à celui de la certitude mo- rale; et ce degré de certitude augmente du double à chaque nouvelle expérience, en sorte qu'en les mul- tipliant l'on approche de plus en plus de la certitude physique. Mais il ne faut pas conclure de ce raison-

ESSAI d'aIUTHMETIQUE 3I0RALE. 21

nement que les effets du hasard suivent la même loi : il est vrai qu'en un sens ces effets sont du nombre de ceux dont nous ignorons les causes immédiates; mais nous savons qu'en général ces causes, bien loin de pouvoir être supposées constantes, sont au contraire nécessairement variables et versatiles autant qu'il est possible. Ainsi, par la notion même du hasard, il est évident qu'il n'y a nulle liaison , nulle dépendance entre ses effets, que par conséquent le passé ne peut influer en rien sur l'avenir ; et l'on se tromperoit beau- coup et même du tout au tout, si l'on vouloit inférer des événements antérieurs quelque raison pour contre les événements postérieurs. Qu'une carte, par exemple, ait gagné trois fois de suite, il n'en est pas moins probable qu'elle gagnera une quatrième fois, et l'on peut parier également qu'elle gagnera ou qu'elle perdra, quelque nombre de fois qu'elle ait gagné ou perdu , dès que les lois du jeu sont telles que les hasards y sont égaux. Présumer ou croire le contraire, comme le font certains joueurs, c'est aller contre le principe môme du hasard, ou ne pas se souvenir que par les conventions du jeu il est toujours également réparti.

X. Dans les effets dont nous voyons les causes, une seule preuve suffit pour opérer la certitude physique : par exemple, je vois que dans une horloge le poids fait tourner les roues, et que les roues font aller le balancier; je suis certain dès lors, sans avoir besoin d'expériences réitérées, que le balancier ira toujours de même, tant que le poids fera tourner les roues. Ceci est une conséquence nécessaire d'un arrange- ment que nous avons fait nous-mêmes en constrnî-

BUFFON. XI] 1. 2

2'2 DE L HOMME.

saut la machine : mais lorsque nous voyons un plié^ nomène nouveau , un effet dans la nature encore inconnu, comme nous en ignorons les causes, et qu'elles peuvent être constantes ou variables , perma- nentes ou intermittentes, naturelles ou accidentelles, nous n'avons d'autres moyens pour acquérir la certi- tude que l'expérience réitérée aussi souvent qu'il est nécessaire. Ici rien ne dépend de nous, et nous ne connoissons qu'autant que nous expérimentons; nous ne sommes assurés que par l'effet même et par la ré- pétition de l'effet. Dès qu'il sera arrivé treize ou qua- torze fois de la môme façon nous avons déjà un deajré de probabilité égal à la certitude morale qu'il arrivera de môme une quinzième fois, et de ce point nous pouvons bientôt franchir un intervalle immense, et conclure par analogie que cet effet dépend des lois générales de la nature , qu'il est par conséquent aussi ancien que tous les autres effets, et qu'il y a certi- tude physique qu'il arrivera toujours comme il est toujours arrivé , et qu'il ne lui manquoit que d'avoir été observé.

Dans les hasards que nous avons arrani^és, balan- cés, calculés nous-mêmes, on ne doit pas dire que nous ignorons les causes des effets : nous ignorons, à la vérité , la cause immédiate de chaque effet en par- ti.culier ; mais nous voyons clairement la cause pre- mière et générale de tous les effets. J'ignore, par exemple , et je ne peux même imaginer en aucune façon , quelle est la différence des mouvements de la main , pour passer ou ne pas passer dix avec trois dés; ce qui néanmoins est la cause immédiate de lé- vénement : mais je vois évidemmeuî par le nombre et

ESSAI D ARITHMETIQUE MORALE. 9.7)

ia marque des dés , qui sont ici les causes premières et générales , que les hasards sont absolument égaux; qu'il est indifférent de parier qu'on passera ou qu'on ne passera pas dix : je vois de plus que ces mêmes événements, lorsqu'ils se succèdent, n'ont aucune liaison, puisqu'à chaque coup de dés le hasard est toujours le même, et néanmoins toujours nouveau; que le coup passé ne peut avoir aucune influence sur le coup à venir; que l'on peut toujours parier égale- ment pour ou contre ; qu'enfin plus long-temps on jouera, plus le nombre des effets pour et le nombre des effets contre approcheront de l'égalité : en sorte que chaque expérience donne ici un produit tout op- posé à celui des expériences sur les effet naturels, je veux dire la certitude de l'inconstance au lieu de celle de la constance des causes. Dans ceux-ci chaque épreuve augmente au double la probabilité du retour de l'effet , c'est-à-dire la certitude de la constance de la cause : dans les effets du hasard chaque épreuve au contraire augmente la certitude de l'inconstance de la cause en nous démontrant toujours de plus en plus qu'elle est absolument versatile et totalement indifférente à produire l'un ou l'autre de ces effets. Lorsqu'un jeu de hasard est, par sa nature, par- faitement égal , le joueur n'a nulle raison pour se dé- terminer à tel ou tel parti : car enfin de l'égalité sun- posée de ce jeu il résulte nécessairement qu'il n'y a point de bonnes raisons pour préférer l'un ou l'autre parti; et par conséquent, si l'on délîbéroit , l'on ne pourroit être déterminé que par de mauvaises rai- sons : aussi la logique des joueurs m'a paru tout-à- fait vicieuse ; et même les bons esprits qui se permet-

2l\ de l'homme.

tent de jouer tombent, en qualité de joueurs, dans des absurdités dont ils rougissent bientôt en qualité d'hommes raisonnables.

XI. Au reste, tout cela suppose qu'après avoir ba- lancé les hasards et les avoir rendus égaux, comme au jeu de passe-dix avec trois dés , ces uiêmes dés qui sont les instruments du hasard soient aussi parfaits qu'il est possible, c'est-à-dire qu'ils soient exactement cubiques , que la matière en soit homogène , que les nombres y soient peints, et non marqués en creux, pour qu'ils ne pèsent pas plus sur une face que sur l'autre : mais comme il n'est pas donné à l'homme de rien faire de parfait, et qu'il n'y a point de dés tra- vaillés avec celte rigoureuse précision , il est souvent possible de reconnoître , par l'observation, de quel côté l'imperfection des instruments du sort fait pen- cher les hasards. Il ne faut pour cela qu'observer at- tentivement et long-temps la suite des événements, les compter exactement, en comparer les nombres relatifs; et si de ces deux nombres l'un excède de beaucoup l'autre, on en pourra conclure, avec grande raison, que l'imperfection des instruments du sort détruit la parfaite égalité du hasard, et lui donne réellement une pente plus forte d'un côté que de l'autre. Par exemple, je suppose qu'avant de jouer au passe-dix l'un des joueurs fût assez fin ou, pour mieux dire , assez fripon pour avoir jeté d'avance mille fois les trois dés dont on doit se servir, et avoir reconnu que, dans ces mille épreuves, il y eu a eu six cents qui ont passé dix, il aura dès lors un très grand avantage contre son adversaire, en parlant de passer, puisque par l'expérience la probabilité de

ESSAI d'aRITHxM^IQUE MORALE. 25

passer dix avec ces mêmes dés sera à la probabilité de ne pas passer dix :: 600 : 4<^o, :: 3 : 2. Cette diffé- rence, qui provient de l'imperfection des instruments, peut donc être reconnue par l'observation , et c'est par cette raison que les joueurs changent souvent de dés et de cartes, lorsque la fortune leur est contraire. Ainsi, quelque obscures que soient les destinées, quelque impénétrable que nous paroisse l'avenir, nous pourrions néanmoins, par des expériences réi- térées, devenir dans quelque cas aussi éclairés sur les événements futurs que le seroient des êtres ou plutôt des natures supérieures qui déduiroient im- médiatement les effets de leurs causes. Et dans les choses mêmes qui paroissent être de pur hasard , comme les jeux et les loteries , on peut encore con- noître la pente du hasard : par exemple, dans une lo- terie qui se tire tous les quinze jours et dont on publie les numéros gagnants, si l'on observe ceux qui ont le plus souvent gagné pendant un an , deux ans, trois ans de suite , on peut en déduire, avec raison, que ces mêmes numéros gagneront encore plus souvent que les autres; car, de quelque manière que l'on puisse varier le mouvement et la position des instru- ments du sort, il est impossible de les rendre assez parfaits pour maintenir l'égalité absolue du hasard; il y a une certaine routine à faire, à placer, à mêler les billets, laquelle , dans le sein même de la confu- sion, produit un certain ordre, et fait que certains billets doivent sortir plus souvent que les autres. Il en est de même de l'arrangement des cartes à jouer; elles ont une espèce de suite dont on peut saisir quel- ques termes à force d'observations : car, en les as-

26 DE L^OMME.

semblant chez l'ouvrier, on suit une certaine routine; le joueur lui-même en les mêlant a sa routine; le tout se fait d'une certaine façon plus souvent que d'une autre ; et dès lors l'observateur attentif aux ré- sultats recueillis en grand nombre pariera toujours avec grand avantage qu'une telle carte, par exemple, suivra telle autre carte. Je dis que cet observateur aura un grand avantage, parce que, les hasards devant être absolument égaux, la moindre inégalité, c'est- à-dire le moindre degré de probabilité de plus, a de très grandes influences au jeu , qui n'est en lui-même qu'un pari multiplié et toujours répété. Si cette dif- férence reconnue par l'expérience de la pente du ha- sard étoit seulement d'un centième , il est évident qu'en cent coups l'observateur gagnera sa mise, c'est- à-dire la somme qu'il hasarde à chaque fois; en sorte qu'un joueur muni de ces observations malhonnêtes ne peiit manquer à la longue de ruiner tous ses ad- versaires. Mais nous allons donner un fameux anti- dote contre le mal épidémique de la passion du jeu, et en môme temps quelques préservatifs contre l'illu- sion de cet art dangereux.

XII. On sait en général que le jeu est une passion avide dont l'habitude est ruineuse; mais cette vérité n'a peut-être jamais été démontrée que par une triste expérience sur laquelle on n'a pas assez réfléchi pour se corriger par la conviction. Un joueur dont la for- tune, exposée chaque jour aux coups du hasard, se mine peu à peu et se trouve enfin nécessairement détruite, n'attribue ses pertes qu'à ce même hasard qu'il accuse d'injustice; il regrette également et ce qu'il a perdu et ce qu'il n'a pas gagné; l'activité et la

ESSAI D ARITHMÉTIQUE MORALE. 27

fausse espérance lui laisoient des droits sur le bien d'autrui ; aussi humilié de se trouver dans la nécessité qu'affligé de n'avoir plus de moyen de satisfaire sa cupidité , dans son désespoir il s'en prend à son étoile malheureuse; il n'imagine pas que cette aveugle puis- sance , la fortune du jeu , marche, à la vérité, d'un pas indifférent et incertain, mais qu'à chaque dé- marche elle tend néanmoins à un but , et tire à un terme certain, qui est la ruine de ceux qui la ten- tent : il ne voit pas que l'indifterence apparente qu'elle a pour le bien ou pour le mal produit, avec le temps, la nécessité du mal; qu'une longue suite de hasards est une chaîne fatale, dont le prolonge- ment amène le malheur : i! ne sent pas qu'indépen- damment du dur impôt des cartes et du tribut encore plus dur qu'il a payé à la friponnerie de quelques adversaires, il a passé sa vie à faire des conventions ruineuses; qu'enfin le jeu, par sa nature mênje , est un contrat vicieux jusque dans son principe, un con- trat nuisible à chaque contractant en particulier, et contraire au bien de toute !a société.

Ceci n'est point un discours de morale vague ; ce sont des vérités précises de métaphysique que je sou- mets au calcul ou plutôt à la force de la raison, des vérités que je prétends démontrer mathématique- ment à tous ceux qui ont l'esprit assez net et l'imagi- tion assez forte pour combiner sans géométrie et cal- culer sans algèbre.

Je ne parlerai point de ces jeux inventés par l'arti- fice et supputés par l'avarice, le hasard perd une partie de ses droits , la fortune ne peut jamais ba- lancer, parce qu'elle est invinciblement entraînée et

28 DE l'hOMxME.

toujours contrainte à pencher d'un côté : je veux dire tous ces jeux les hasards inégalement répartis of- frent un gain aussi assuré que malhonnête à l'un, et ne laissent à l'autre qu'une perte sûre et honteuse, comme au pharaon ^ le banquier n'est qu'un fripon avoué , et le ponte une dupe , dont on est convenu de ne pas se moquer.

C'est au jeu en général , au jeu le plus égal , et par conséquent le plus honnête, que je trouve une es- sence vicieuse : je comprends même sous le nom de jeu toutes les conventions, tous les paris l'on met iiu hasard une partie de son bien pour obtenir une pareille partie du bien d'autrui; et je dis qu'en gé- néral le jeu est un pacte mal entendu, un contrat désavantageux aux deux parties, dont l'effet est de rendre la perte toujours plus grande que le gain, et d'ôter au bien pour ajouter au mal. La démonstration en est aussi aisée qu'évidente.

XIII. Prenons deux hommes de fortune égaie, qui, par exemple , aient chacun cent mille livres de bien, et supposons que ces deux hommes jouent en un ou plusieurs coups de dés cinquante mille livres, c'est- à-dire la moitié de leur bien : il est certain que celui qui gagne n'augmente son bien que d'un tiers, et que celui qui perd diminue le sien de moitié; car chacun d'eux avoit cent mille livres avant le jeu : mais, après l'événement du jeu, l'un aura cent cinquante mille livres, et c'est-à-dire un tiers de plus qu'il n'avoit, et l'autre n'a plus que cinquante mille livres, c'est-à- dire moitié moins qu'il n'avoit : donc la perte est d'une sixième partie plus grande que le gain , car il y a cette différence entre le tiers et la moitié; donc la

ESSAI d'auithmetiquiî morale. 29

convention est nuisible à tous deux, et par conséquent essentiellement vicieuse.

Ce raisonnement n'est point captieux , il est vrai et exact : car, quoique l'un des joueurs n'ait perdu pré- cisément que ce que l'autre a gagné , cette égalité numérique de la somme n'empêche pas l'inégalité vraie de la perte et du gain ; l'inégalité n'est qu'appa- rente, et l'égalité très réelle. La perte que ces deux hommes font en jouant la moitié de leur bien est égale pour l'effet à un autre pacte que jamais personne ne s'est avisé de faire , qui seroit de convenir de jeter dans la mer chacun la douzième partie de son bien : car on peut leur démontrer, avant qu'ils hasardent cette moitié de leur bien, que la perte étant néces- sairement d'un sixième plus grande que le gain, ce sixième doit être regardé comme une perte réelle, qui, pouvant tomber indifféremment ou sur l'un ou sur l'autre , doit par conséquent être également par-

tagée.

Si deux hommes s'avisoientde jouer tout leur bien, quel seroit l'effet de cette convention.»^ L'un ne feroit que doubler sa fortune, et l'autre réduiroit la sienne à zéro ; or quelle proportion y a-t-il entre la perte et le gain ? la même qu'entre tout et rien; le gain de l'un n'est qu'égal à une somme assez modique , et la perte de l'autre est numériquement infinie, et mora- lement si grande que le travail de toute sa vie ne suf- firoit peut-être pas pour regagner son bien.

La perte est donc infiniment plus grande que le gain lorsqu'on joue tout son bien; elle est plus grande d'une sixième partie lorsqu'on joue la moitié de son bien; elle est plus grande d'une vingtième partie lors-

50 DE l'homme.

qu'on joue le quart de son bien; en un mot , quel- que petite portion de sa fortune qu'on hasarde au jeu, il y a toujours plus de perte que de gain : ainsi le pacte du jeu est un contrat vicieux et qui tend à !a ruine des deux contractants; vérité nouvelle, mais très utile , et que je désire qui soit connue de tous ceux qui, par cupidité ou par oisiveté, passent leur vie à tenter le hasard.

On a souvent demandé pourquoi l'on est plus sen- sible à la perte qu'au gain ; on ne pouvoit faire à cette question une réponse pleinement satisfaisante tant qu'on ne s'est pas douté de la vérité que je viens de présenter; maintenant la réponse est aisée : on est plus sensible à la perte qu'au gain parce qu'en effet, en les supposant numériquement égaux, la perte est néanmoins toujours et nécessairement plus grande que le gain ; le sentiment n'est en général qu'un rai- sonnement implicite moins clair , maïs souvent plus (in et toujours plus sûr que le produit direct de la raison. On sentoit bien que le gain ne nous faisoit pas autant de plaisir que la perte nous causoit de peine; ce sentiment n'est que le résultat implicite du raison- nement que je viens de présenter.

XIY. L'argent ne doit pas être estimé par sa quan- tité numérique ; si le métal, qui n'est que le signe des richesses, étoit la richesse même, c'est-à-dire si le bonheur ou les avantages qui résultent de la ri- chesse étoient proportionnels à la quantité de l'argent, les hommes auroient raison de l'estimer numérique- ment et par sa quantité ; mais il s'en faut bien que les avantages qu'on tire de l'argent soient en juste proportion avec sa quantité : un homme riclie à cent

ESSAI d'arithmétique MOUAI.E. 5l

mille ëcus de rente n'est pas dix fois plus heureux que l'homme qui n'a que dix mille écus ; il y a plus, c'est que l'argent, dès qu'on passe de certaines bor- nes, n'a presque plus de valeur réelle, et ne peut augmenter le bien de celui qui le possède ; un homme qui découvriroit une montagne d'or ne seroit pas plus riche que celui qui n'en trouveroit qu'une toise cube.

L'argent a deux valeurs, toutes deux arbitraires, toutes deux de convention, dont l'une est la mesure des avantages du particulier, et dont l'autre fait le tarif du bien de la société : la première de ces valeurs n'a jamais été estimée que d'une manière fort vague; la seconde est susceptible d'une estimation juste par la comparaison de la quantité d'argent avec le pro- duit de la terre et du travail des hommes.

Pour parvenir à donner quelques règles précises sur la valeur de l'argent j'examinerai des cas parti- culiers dont l'esprit saisit aisément les combinaisons et qui, comme des exemples, nous conduiront par induction à l'estimation générale de la valeur de l'ar- gent pour le pauvre, pour le riche, et même pour l'homme plus ou moins sage.

Pour l'homme qui , dans son état , quel qu'il soit, n'a que le nécessaire, l'argent est d'une valeur infinie; pour l'homme qui, dans son état, abonde en superflu, l'argent n'a presque plus de valeur. Mais qu'est-ce que le nécessaire? qu'est-ce que le superflu.»^ J'en- tends par le nécessaire la dépense r/u'on est obligé de faire pour vivre comme l'on a toujours vécu : avec ce nécessaire on peut avoir ses aises et même des plai- sirs ; mais bientôt l'habitude en a fait des besoins.

02 DE L HOMME.

Ainsi, dans la définition du superflu, je compterai pour rien les plaisirs auxquels nous sommes accou- tumés, et je dis que le superflu est la dépense qui "peut nom procurer des plaisirs nouveaux, La perte du nécessaire est une perte qui se fait ressentir infini- ment ; et lorsqu'on hasarde une partie considérable de ce nécessaire , le risque ne peut être compensé par aucune espérance, quelque grande qu'on la sup- pose : au contraire la perte du superflu a des effets bornés ; et si , dans ce superflu même, on est encore plus sensible à la perte qu'au gain, c'est parce qu'en effet la perte étant en général toujours plus grande que le gain, ce sentiment se trouve fondé sur ce principe que le raisonnement n'avoit pas développé : car les sentiments ordinaires sont fondés sur des no- tions communes ou sur des inductions faciles; mais les sentiments délicats dépendent d'idées exquises et relevées, et ne sont en effet que les résultats de plu- sieurs combinaisons souvent trop fines pour être aper- çues nettement, et presque toujours trop compli- quées pour être réduites à un raisonnement qui puisse les démontrer.

Xy. Les mathématiciens qui ont calculé les jeux de hasard, et dont les recherches en ce geiïre méri- tent des éloges, n'ont considéré l'argent que comme une quantité susceptible d'augmentation et de dimi- nution, sans autre valeur que celle du nombre; ils ont estimé par la quantité numérique de l'argent les rapports du gain et de la perte ; ils ont calculé le ris- que et l'espérance relativement à cette même quan- tité numérique. Nous considérons ici la valeur de l'argent dans un point de vue différent; et, par nos

ESSAI d'aRITHMÉTIQUK MORALE. ô3

principes, nous donnerons la solution de quelques cas embarrassants pour le calcul ordinaire. Cette question, par exemple, du jeu de croix et pile, Ton sup- pose que deux hommes (Pierre et Paul) jouent l'un contre l'autre, à ces conditions que Pierre jettera en Tair une pièce de monnoie autant de fois qu'il sera nécessaire pour qu'elle présente croix, et que si cela arrive du premier coup, Paul lui donnera un écu ; si cela n'arrive qu'au second coup, Paul lui donnera deux écus; si cela n'arrive qu'au troisième coup, il lui donnera quatre écus ; si cela n'arrive qu'au qua- trième coup, Paul lui donnera huit écus; si cela n'arrive qu'au cinquième coup, il donnera seize écus. ainsi de suite en doublant toujours le nombre des écus : il est visible que par cette condition Pierre ne peut que gagner, et que son gain sera au moins un écu, peut-être deux écus, peut-être quatre écus, peut-être huit écus, peut-être seize écus, peut-être trente-deux écus, etc., peut-être cinq cent douze écus, etc. , peut-être seize mille trois cent quatre- vingt-quatre écus, etc., peut-être cinq cent vingt-- quatre mille quatre cent quarante-huit écus, etc. ., peut-être même dix millions, cent millions, cent mille millions d'écus, peut-être enfin une infinité d'écus; car il n'est pas impossible de jeter cinq fois, dix fois , quinze fois , vingt fois , mille fois , cent mille fois , la pièce sans qu'elle présente croix. On demande donc combien Pierre doit donner à Paul pour l'in- demniser, ou , ce qui revient au même , quelle est la somme équivalente à l'espérance de Pierre, qui ne peut que gagner.

Cette question m'a été proposée pour la première

54 T>r^ l'homme.

fois par feu M. Cramer, célèbre professeur de mathé- matiques à Genève, dans un voyage que je fis en cette ville l'année 1700; il médit qu'elle avoit été proposée précédemment par M. INicolasBernouIli à M. de Mont- mort, comme en effet on la trouve pages 402 et 407 de V Analyse des jeux de hasard de cet auteur. Je rê- vai quelque temps à cette question sans en trouver le nœud; je ne voyois pas qu'il fût possible d'accor- der le calcul mathématique avec le bon sens sans y faire entrer quelques considérations morales; et ayant fait part de mes idées à M. Cramer*, il me dit que

1. Voici ce que j'en laissai alors par écrit à M. Cramer, et dont jai conservé la copie originale.

0 M. de Montmort se contente de répondre à M. Nicolas Bernoulli que l'équivalent est égal à 1-a somme de la suite ^/^, ^/^, ^/^, */^, etc.. écu , continué à TinGni, c'est-à-dire = Yj , et je ne crois pas qu'eu effet on puisse contester son calcul mathématique; cependant, loin de donner un équivalent infini, il n'y a point d'homme de bon sens qui voulût donner vingt écus, ni même dix.

» La raison de cette conti'ariété entre le calcul mathématique et le bon sens me semble consister dans le peu de proportion qu'il y a entre l'argent et l'avantage qui en résulte. Un mathématicien, dans son calcul, n'estime l'argent que par sa quantité, c'est-à-diro par sa valeur numérique : mais l'homme moral doit l'estimer autrement , et uniquement par les avantages ou le plaisir qu'il peut procurer ; il est certain qu'il doit se conduire dans cette vue, et n'estimer l'argent qu'à proportion des avantages qui en résultent, et non pas relative- ment à la quantité qui, passé de certaines bornes, ne pourroit nulle- ment augmenter son bonheur : il ne seroit . par exemple , guère plus heureux avec mille millions qu'il le seroit avec cent, ni avec cent mille millions plus qu'avec mille millions : ainsi, passé de certaines bornes, il auroit très grand tort de hasarder son argent. Si, par exemple, dix mille écus étoient tout son bien , il auroit un tort infini de les hasar- der; et plus ces dix mille écus seront un objet par rapport à lui, plus il aura de tort. Je crois donc que son tort seroit inGni tant que ces dix mille écus feront une partie de son nécessaire , c'est-à-dire tant que ces dix mille écns lui seront absolument nécessaires pour

ESvSAi d'auithmétioie mouale. 55

j'avois raison, et qu'il avoit aussi résolu cette ques- tion par une voie semblable ; il me montra ensuite sa solution à peu près telle qu'on Ta imprimée depuis dans les Mémoires de r Académie de Pétersbourg ^ en 1738, à la suite d'un mémoire excellent de M. Daniel Bernoulli sur la mesure du sort ^ j'ai vu que la plu- part des idées de M. Daniel Bernoulli s'accordent avec les miennes; ce qui m'a fait grand plaisir, car j'ai toujours , indépendamment de ses grands talents

vivre comme il a été élevé et comme il a toujours vécu. Si ces dix mille écus sont de son superflu, son tort diminue; et plus ils seront une petite partie de son superflu , plus son tort diminuera : mais il ne sera jamais nul , à moins qu'il ne puisse regarder cette partie de son superflu comme indifférente , ou bien qu'il ne regarde la somme es- pérée comme nécessaire pour réussir dans un dessein qui lui donnera, à proportion , autant de plaisir que cette même somme est plus grande que celle qu'il hasarde, et c'est sur celte façon d'envisager un bon- heur avenir qu'on ne peut point donner de règles; il y a des gens pour qui l'espérance elle-même est un plaisir plus grand que ceu.v qu'ils pourroient se procurer par la jouissance de leur mise. Pour rai- sonner donc plus certainement sur toutes ces choses il faudroil éta- blir quelques principes : je dirois , par exemple, que le nécessaire est égal à la somme qu'on est obligé de dépenser pour continuer à vivre comme on a toujours vécu : le nécessaire d'un roi sera , par exemple, dix millions de rente ( car un roi qui auroit moins seroit un roi pauvre ) ; le nécessaire d'un homme de condition seroit de dix mille livres de rente (car un homme de condition qui auroit moins seroit un pauvre seigneur) ; le nécessaire d'un paysan sera cinq cents livres, parce qu'à moins que d'être dans la misère il ne peut moins dépenser pour vivre et nourrir sa famille. Je supposerois que le nécessaire ne peut nous procurer des plaisirs nouveaux, ou, pour parler plus exacte- ment, je compterois pour rien les plaisirs ou les avantages que nous avons toujours eus, et d'après cela je définirois le superflu ce qui pourroit nous procurer d'autres plaisirs ou des avantages nouveaux : je dirois, de plus, que la perte du nécessaire se fait ressentir infini- ment, qu'ainsi elle ne peut être compensée par aucune espérance ; qu'au contraire le sentiment de la perte du superflu est borné, et que

56 DE l'homme.

en géométrie, regardé et reconnu M. Daniel Ber- noulli comme l'un des meilleurs esprits de ce siècle. Je trouvai aussi l'idée de M. Cramer très juste , et digne d'un homme qui nous a donné des preuves de son habileté dans toutes les sciences mathématiques, et à la mémoire duquel je rends cette justice avec d'autant plus de plaisir que c'est au commerce et à l'amitié de ce savant que j'ai une partie des pre- mières connoissances que j'ai acquises en ce genre. M. de Montmort donne la solution de ce problème par les règles ordinaires, et il dit que la somme équi- valente à l'espérance de celui qui ne peut que gagner est égale à la somme de la suite V2? V2> V2> V2> V2* V2' V2'» écu, etc. , continuée à l'infini, et que par conséquent cette somme équivalente est une somme d'argent infinie, La raison sur laquelle est fondé ce calcul c'est qu'il y a un demi de probabilité que Pierre, qui ne peut que gagner, aura un écu ; un quart de probabilité qu'il en aura deux ; un huitième de probabilité qu'il en aura quatre ; un seizième de probabilité qu'il en aura huit; un trente-deuxième de probabilité qu'il en aura seize, etc., à l'infini ; et que

p.nr conséquent il peut être compensé. Je crois qu'on sent soi-même cette vérité lorsqu'on joue , car la perte, pour peu qu'elle soit consi- dérable , nous l'ait toujours plus de peine qu'un gain égal ne nous fait de plaisir, et cela sans qu'on puisse y faire entrer l'amour-propre mor- tifié, puisqne je suppose le jeu d'entier et pur hasard. Je dirois aussi que la quantité de l'argent dans le nécessaire est proportionnelle à ce qui nous en revient, mais que, dans le superflu, cette proportion commence à diminuer, et diminue d'autant plus que le superflu de- vient plus grand.

» Je vous laisse , monsieur, juge de ces idées , etc. Genève, ce 5 oc- tobre 1730. Signé Le Clerc de Blffo.n. »

ESSAI d'arithmétique MORALE. Ô'J

par conséquent son espérance pour le premier cas est un demi-écu, car l'espérance se mesure par la proba- bilité multipliée par la somme qui est à obtenir : or la probabilité est un demi, et la somme à obtenir pour le premier coup est un écu ; donc l'espérance est un demi-écu. De même son espérance pour le second cas est encore un demi-écu ; car la probabilité est un quart , et la somme à obtenir est deux écus : or un quart multiplié par deux écus donne encore un demi- écu. On trouvera de même que son espérance pour le troisième cas est encore un demi-écu , pour le qua- trième cas un demi-écu , en un mot, pour tous les cas à l'infini toujours un demi-écu pour chacun , puisque le nombre des écus augmente en proportion que le nombre des probabilités diminue ; donc la somme de toutes ces espérances est une somme d'argent infinie, et par conséquent il faut que Pierre donne à Paul pour équivalent la moitié d'une infinité d'écus.

Cela est mathématiquement vrai, et on ne peut pas contester ce calcul : aussi M. de Monlmort et les autres géomètres ont regardé cette question comme bien résolue ; cependant cette solution est si éloignée d'être la vraie qu'au lieu de donner une somme infinie, ou même une très grande somme , ce qui est déjà fort différent, il n'y a point d'homme de bon sens qui voulût donner vingt écus ni même dix pour ache- ter celte espérance, en se mettant à la place de celui qui ne peut que gagner.

XYI. La raison de cette contiariété extraordinaire du bon sens et du calcul vient de deux causes : la première est que la probabilité doit être regardée comme nulle dès quelle est très petite, c'est-à-dire

BUFFON XIII.

58 DE l'homme.

au dessous de -477 ; la seconde cause est le peu de proportion qu'il y a entre la quantité de l'argent et les avantages qui en résultent. Le mathématicien, dans son calcul, estime l'argent par sa quantité; mais l'homme moral doit l'estimer autrement: par exemple, si l'on proposoit à un homme d'une fortune médiocre de mettre cent mille livres à une loterie, parce qu'il n'y a que cent à parier contre un mille qu'il y gagnera cent mille fois cent mille livres , il est certain que la probabilité d'obtenir cent mille fois cent mille livres étant un contre cent mille, il est certain, dis-je , mathé- matiquement parlant, que son espérance vaudra sa mise de cent mille livres : cependant cet homme au- roit très grand tort de hasarder cette somme , et d'au- tant plus grand tort que la probabilité de gagner seroit plus petite, quoique l'argent à gagner augmentât en proportion, et cela parce qu'avec cent mille fois cent livres il n'aura pas le double des avantages qu'il auroit avec cinquante mille fois cent mille livres, ni dix fois autant d'avantage qu'il en auroit avec dix mille fois cent mille livres; et comme la valeur de l'argent, par rapport à l'homme moral , n'est pas proportionnel à sa quantité, mais plutôt aux avantages que l'argent peut procurer, il est visible que cet homme ne doit hasarder qu'à proportion de l'espérance de ces avan- tages; qu'il ne doit pas calculer sur la quantité nu- mérique des sommes qu'il pourroit obtenir, puisque la quantité de l'argent, au delà de certaines bornes, ne pourroit plus augmenter son bonheur, et qu'il ne seroit pas plus heureux avec cent mille millions de rente qu'avec mille millions.

XYII. Pour faire sentir la liaison et la vérité de

ESSAI D ARITHMÉTIQUE MORALE. ^9

tout ce que je viens d'avancer, examinons de plus près que n'ont fait les géomètres la question que l'on vient de proposer. Puisque le calcul ordinaire ne peut la résoudre à cause du moral qui se trouve compli- qué avec le mathématique, voyons si nous pourrons, par d'autres règles, arriver à une solution qui ne heurte pas le bon sens, et qui soit en même temps conforme à l'expérience. Cette recherche ne sera pas inutile, et nous fournira des moyens sûrs pour esti- mer au juste le prix de l'argent et la valeur de l'espé- rance dans tous les cas. La première chose que je remarque c'est que , dans le calcul mathématique qui donne pour équivalent de l'espérance de Pierre une somme infinie d'argent , cette somme infinie d'argent est la somme d'une suite composée d'un nombre in- fini de termes qui valent tous un demi-éu , et je vois que cette suite, qui mathématiquement doit avoir une infinité de termes, ne peut pas moralement en avoir plus de trente, puisque si le jeu duroit jusqu'à ce trentième terme , c'est-à-dire si croix ne se présen- toit qu'après vingt-neuf coups, il seroit à Pierre une somme de 520 millions 870 mille 912 écus , c'est-à-dire autant d'argent qu'il en existe peut-être dans tout le royaume de France. Une somme infinie d'argent est un être de raison qui n'existe pas ; et toutes les espérances fondées sur les termes à l'infini qui sont au delà de trente n'existent pas non plus, li y a ici une impossibilité morale qui détruit la possi- bilité mathématique ; car il est possible mathémati- quement et même physiquement de jeter trente fois, cinquante , cent fois de suite , etc., la pièce de mon- noie sans qu'elle présente croix : mais il Ci^t impossi-

4o DE l'homme.

ble de satisfaire à la condition du problème^, c'est- à-dire de payer le nombre d'écus qui seroit dû, dans le cas cela arriveroit ; car tout l'argent qui est sur la terre ne suSiroit pas pour faire la somme qui seroit due, seulement au quarantième coup, puisque cela supposeroit mille vingt-quatre fois plus d'argent qu'il n'en existe dans tout le royaume de France, et qu'il s'en faut bien que sur toute la terre il y ait mille vingt-quatre royaume aussi riche que la France.

Or le mathématicien n'a trouvé cette somme infinie d'argent pour l'équivalent à l'espérance de Pierre que parce que le premier cas lui donne un demi-écu , le second cas un demi-écu, et chaque cas à l'infini tou- jour un demi-écu : donc l'homme moral , en comp- tant d'abord de môme, trouvera vingt écus au lieu de la somme infinie, puisque tous les termes qui sont au delà du quarantième donnent des sommes d'argent si grandes qu'elles n'existent pas ; en sorte qu'il ne faut compter qu'un demi-écu pour le pre- mier cas, un deuii-écu pour le second, un demi- écu pour le troisième, etc., jusqu'à quarante; ce qui fait en tout vingt écus pour l'équivalent de l'espé- rance de Pierre, somme déjà bien réduite et bien dif- férente de la somme infinie. Celte somme de vingt écus se réduira encore beaucoup en considérant que le trente-unième terme donneroit plus de mille mil-

i. c'est par celte raison qu'un de nos plus habiles géomètres , feu M. Fontaine, a fait entrer dans la solution qu'il nous a donnée de ce problème la déclaration du bien de Pierre , parce qu'en effet il ne peut donner pour équivalent que la totalité du bien qu'il possède. Voyez cette solution dans les Mémoires mathématiques de M. Fontaine, in-4'*; Paris , 1764.

ESSAI d'arithmétique moralk. 4*

lions d'ëcus, c'est-à-dire supposeroit que Pierre au- roit beaucoup plus d'argent qu'il n'y en a dans le plus riche royaume de l'Europe, chose iropossible à supposer; et dès lors les termes depuis trente jusqu'il quarante sont encore imaginaires, et les espérances fondées sur ces termes doivent être regardées comme nulles : ainsi l'équivalent de l'espérance de Pierre est déjà réduit à quinze écus.

On la réduira encore en considérant que la valeur de l'argent ne devant pas être estimée par sa quan- tité, Pierre ne doit pas compter que mille millions d'écus lui serviront au double de cinq cents millions d'écus, ni au quadruple de deux cent cinquante mil- lions d'écus, etc., et que par conséquent l'espérance du trentième terme n'est pas un demi-écu, non plus que l'espérance du vingt-neuvième, du vingt-hui- tième, etc. La valeur de cette espérance, qui, mathé- matiquement, se trouve être un demi-écu pour cha- que terme, doit être diminuée dès le second terme, et toujours diminuée jusqu'au dernier terme de la suite, parce qu'on ne doit pas estimer la valeur de l'argent par sa quantité numérique.

XVIII. Mais comment donc l'estimer? comment trouver la proportion de cette valeur suivant les dif- férentes quantités.^ qu'est-ce donc que deux millions d'argent, si ce n'est pas le double d'un million du même métal ? pouvons-nous donner des règles pré- cises et générales pour cette estimation? Il paroît que chacun doit juger son état, et ensuite estimer son sort et la quantité de l'argent proportionnellement à cet état et à l'usage qu'il en peut faire : mais cette manière est encore vague et trop particulière pour qu'elle

4^ DE L*HOMME.

puisse servir de principe ; et je crois qu'on peut trou- ver des moyens plus généraux et plus sûrs de faire cette estimation. Le premier moyen qui se présente est de comparer le calcul mathématique avec Texpé- licnce; car, dans bien des cas, nous pouvons, par des expériences réitérées, arriver, comme je l'ai dit , à connoître l'effet du hasard aussi sûrement que si iious le déduisions immédiatement des causes.

J'ai donc fait deux mille quarante-huit expériences sur cette question, c'est-à-dire j'ai joué deux mille quarante-huit fois ce jeu , en faisant jeter la pièce en l'air par un enfant. Les deux mille quarante-huit par- ties de jeu ont produit dix mille cinquante-sept écus en tout : ainsi la somme équivalente à l'espérance de celui qui ne peut que gagner est à peu près cinq écus pour chaque partie. Dans cette expérience il y a eu mille soixante -une parties qui n'ont produit qu'un écu, quatre cent quatre-vingt-quatorze parties qui ont produit deux écus, deux cent trente-deux parties qui en ont produit quatre, cent trente-sept parties qui ont produit huit écus, cinquante-six parties qui en ont produit seize, vingt-neuf parties qui ont produit trente-deux écus, vingt-cinq parties qui en ont produit soixante-quatre, huit parties qui en ont produit cent vingt-huit, et enfin six parties qui en ont produit deux cent cinquante-six. Je tiens ce résultat général pour bon, parce qu'il est fondé sur un grand nombre d'expériences, et que d'ailleurs il s'accorde avec un autre raisonnement mathématique et incontestable, par lequel on trouve à peu près ce même équivalent de cinq écus. Voici ce raisonnement. Si l'on joue deux mille quarante-huit parties , il doit y avoir naturelle-

ESSAI D'AllITHaiÉTIQUE MORALE. ^^

ment mille vingt-quatre parties qui ne produiront qu'un ëcu chacune , cinq cent douze parties qui en produiront deux, deux cent cinquante-six parties qui en produiront quatre, cent vingt-huit parties qui en produiront huit, soixante quatre parties qui en pro- duiront seize, trente-deux parties qui en produiront trente-deux, seize parties qui en produiront soixante- quatre , huit parties qui en produiront cent vingt- huit, quatre parties qui en produiront deux cent cin- quante-six , deux parties qui en produiront cinq cent douze , une partie qui produira mille vingt-quatre, et enfin une partie qu'on ne peut pas estimer, mais qu'on peut négliger sans erreur sensible , parce que je pouvois supposer, sans blesser que très légèrement l'égalité du hasard, qu'il y auroit mille vingt-cinq au lieu de mille vingt-quatre parties qui ne produi- roient qu'un écu. D'ailleurs l'équivalent de cette par- tie étant mis au plus fort, ne peut être de plus de quinze écus, puisque l'on a vu que, pour une partie de ce jeu, tous les termes au delà du trentième terme de la suite donnent des sommes d'argent si grandes qu'elles n'existent pas, et que par conséquent le plus fort équivalent qu'on puisse supposer est quinze écus. Ajoutant ensemble tous ces écus, que je dois naturel- lement attendre de l'indifférence du hasard, j'ai onze raille deux cent soixante- cinq écus pour deux mille quarante-huit parties. Ainsi ce raisonnement donne à très peu près cinq écus et demi pour l'équivalent ; ce qui s'accorde avec l'expérience à V^^ près. Je sens bien qu'on pourra ra'objecter que cette espèce de calcul, qui donne cinq écus et demi d'équivalent lorsqu'on joue deux mille quarante-huit parties, don-

44 ^^ l'homme.

neroit un équivalent plus grand si on ajoutoit un beaucoup plus grand nombre de parties : car, par exemple, il se trouve que si , au lieu de jouer deux mille quarante-huit parties, on n'en joue que mille vingt-quatre , l'équivalent est à très peu près cinq écus; que si l'on ne joue que cinq cent douze par- ties, l'équivalent n'est plus que quatre écus et demi à très peu près; que si l'on n'en joue que deux cent cinquante-six 5 il n'est plus quatre écus, et ainsi toujours en diminuant : mais la raison en est que le coup qu'on ne peut pas estimer fait alors une partie considérable du tout, et d'autant plus considérable qu'on joue moins de parties, et que par conséquent il faut un grand nombre de parties , comme mille vingt-quatre ou deux mille quarante-huit, pour que ce coup puisse être regardé comme de peu de valeur, ou même comme nul. En suivant la même marche on trouvera que si l'on joue un million quarante-huit mille cinq cent soixante-seize parties, l'équivalent, par ce raisonnement, se trouveroit être à peu près dix écus. Mais on doit considérer tout dans la mo- rale, et par on verra qu'il n'est pas possible de Jouer un million quarante -huit mille cinq cent soixante-seize parties à ce jeu : car, à ne supposer que deux minutes de temps pour la durée de chaque partie, y compris le temps qu'il faut pour payer, etc., on trouveroit qu'il faudroit jouer pendant deux mil- lions quatre-vingt-dix-sept mille cent cinquante-deux minutes, c'est-à-dire plus de treize ans de suite, six heures par jour; ce qui est une convention morale- ment impossible. El, si l'on y fait attention, on trou- vera qu'entre ne jouer qu'une partie et jouer le plus

ESSAI d'aKITIIMÉTIQUE MORALE. 45

grand nombre des parties moralement possibles ce raisonnement, qui donne des équivalents différents pour lous les différents nombres de parties, donne pour l'équivalent moyen cinq écus. Ainsi je persiste à dire que la somme équivalente à l'espérance de celui qui ne peut que gagner est cinq écus, au lieu de la moi- tié d'une somme infinie d'écus, comme l'ont dit les mathématiciens, et comme leur calcul paroît l'exiger. XIX. Voyons maintenant si, d'après cette déter- mination, il ne seroit pas possible de tirer la propor- tion de la valeur de l'argent par rapport aux avantages qui en résultent.

La progression des probabilités

. _LJ_J_J__l__L ^ * 1 1

^^*"* 2? 4'~'16'Ï2''64' 128 ' 2~5~6 ' 512 2 » *

La progression des sommes d'argent à obtenir

ce 1.

est.. 1, 2, 4j ^9 ^^? ^^9 ^4? ï2^> 256.. 2

La somme de toutes ces probabilités, multipliées par celle de toutes les sommes d'argent à obtenir, est^, qui est l'équivalent donné par le calcul ma- thématique , pour Tespérance de celui qui ne peut que gagner. Mais nous avons vu que cette somme ~ ne peut, dans le réel, être que cinq écus : il faut donc chercher une suite telle que la somme multi- pliée par la suite des probabilités soit égale à cinq écus; et cette suite étant géométrique comme celle des probabilités on trouvera

» Il ^^ _9_ ^ 729 6 66 1 5 9 0/19

qu eue LSI i, 5 ? 25» 125' 625' 3125'»

au lieu de 1, 2, 4? S? i^'» ^2.

Or, cette suite, 2, 4? ^> ï^? ^^? etc., représente la quantité de l'argent , et par conséquent sa valeur numérique et mathématique.

46 DE l'homme.

Et laulre suite, . , i, H, f^, ^1, ^,^, représente la quantité géométrique de l'argent donnée par l'ex- périence, et par conséquent sa valeur morale et réelle.

Voilà donc une estimation générale et assez juste de la valeur de l'argent dans tous les cas possibles, et indépendamment d'aucune supposition. Par exemple, l'on voit, en comparant les deux suites, que deux mille livres ne produisent pas le double d'avantages de mille livres; qu'il s'en faut V55 ^^ que deux mille livres ne sont dans le moral et dans la réalité que ^/^ de deux mille livres, c'est-à-dire dix-huit cents li- vres. Un homme qui a vingt mille livres de bien ne doit pas l'estimer comme le double du bien d'un autre qui a dix mille livres ; car il n'a réellement que dix-huit mille livres d'argent de cette même mon- noie, dont la valeur se compte par les avantages qui en résultent : et de même un homme qui a quarante mille livres n'est pas quatre fois plus riche que celui qui a dix mille livres ; car il n'est en comparaison réel- lement riche que de trente-deux mille quatre cents livres : un homme qui a quatre-vingt mille livres n'a, par la môme règle, que cinquante -huit mille trois cents livres; celui qui a cent soixante mille livres ne doit compter que cent quatre mille neuf cents livres, c'est-à-dire que, quoiqu'il ait treize fois plus de bien que le premier, il n'a guère que dix fois autant de notre vraie raonnoie. De même encore un homme (jui a trente-deux mille fois autant d'argent qu'un autre, par exemple trois cent mille livres en compa- raison d'un homme qui a dix mille livres, n'est riche, dans la réalité, que de cent quatre-vingt-huit mille

ESSAI d'arithmétique morale. 4"

livres, c'est-à-dire dix-huit ou dix-neuffois plus riche, au lieu de trente-deux fois, etc.

L'avare est comme le mathématicien , tous deux estiment l'argent par sa quantité numérique : l'homme sensé n'en considère ni la masse ni le nombre, il n'y voit que les avantages qu'il peut en tirer; il raisonne mieux que l'avare, et sent mieux que le mathématicien. L'écu que le pauvre a mis à part pour payer un impôt de nécessité, et l'écu qui complète les sacs d'un fi- nancier, n'ont pour l'avare et pour le mathématicien que la même valeur : celui-ci les comptera par deux unités égales, l'autre se les appropriera avec un plaisir égal, au lieu que l'homme sensé comptera l'écu du pau- vre pour un louis, et l'écu du (Inancier pour un liard.

XX. Une autre considération, qui vient à l'appui de cette estimation de la valeur morale de l'argent, c'est qu'une probabilité doit être regardée comme nulle dès qu'elle n'est que ^J^ô' c'est-à-dire dès qu'elle est aussi petite que la crainte non sentie de la mort dans les vingt-quatre heures. On peut même dire qu'attendu l'intensité de cette crainte de la mort, qni est bien plus grande que l'intensité de tous les autres sentiments de crainte ou d'espérance, l'on doit regarder comme presque nulle une crainte ou une es- pérance qui n'auroit que j^- de probabilité. L'homme le plus foible pourroit tirer au sort sans aucune émo- tion, si le billet de mort étoit mêlé avec dix mille bil- lets de vie; et l'homme ferme doit tirer sans crainte si ce billet est mêlé sur mille : ainsi , dans tous les cas la probabilité est au dessous d'un millième , on doit la regarder comme presque nulle. Or, dans notre question, la probabilité se trouvant être —-

48 DE l'homme.

dès le dixième lerwe de la suite ^, ^, j, -^, ^, j-^. TTÏ' ik' IH' iTïI» i^ s'ensuit que, Qioralement pen- sant, nous devons négliger tous les termes suivants, et borner toutes nos espérances à ce dixième terme ; ce qui produit encore cinq écus pour l'équivalent que nous avons cherché, et confirme par conséquent la justesse de notre détermination.

En réformant et abrégeant ainsi tous les calculs la probabilité devient plus petite qu'un millième, il ne restera plus de contradiction entre le calcul ma- thématique et le bon sens. Toutes les difficultés de ce genre disparoissent. L'homme pénétré de cette vérité ne se livrera plus à de vaines espérances ou à de faus- ses craintes;il ne donnera pas volontiers son écu pour en obtenir mille, à moins qu'il ne voie clairement que la probabilité est plus grande qu'un millième ; enfin il se corrigera du frivole espoir de faire une grande fortune avec de petits moyens.

XXI. Jusqu'ici je n'ai raisonné et calculé que pour l'homme vraiment sage, qui ne se détermine que par le poids de la raison ; mais ne devons-nous pas faire aussi quelque attention à ce grand nombre d'hom- mes que l'illusion ou la passion déçoivent, et qui sou- vent sont fort aises d'être déçus? n'y a-t-il pas même à perdre en présentant toujours les choses telles qu'el- les sont? l'espérance , quelque petite qu'en soit la probabilité, n'est-elle pas un bien pour tous les hom- mes , et le seul bien des malheureux? Après avoir calculé pour le sage, calculons donc aussi pour l'homme bien moins rare qui jouit de ses erreurs souvent plus que de sa raison. Indépendamment des cas où; faute de tous moyens, une lueur d'espoir e&t

ESSAI d'arithmétique MORALE. 49

im souverain bien , indépendamment de ces circon- stances où le cœur agité ne peut se reposer que sur les objets de son illusion , et ne jouit que de ses dé- sirs, n'y a-t-ii pas mille et mille occasions la sa- gesse même doit jeter en avant un volume d'espé- rance au défaut d'une inasse de bien réel ? Par exemple, la volonté de faire le bien, reconnue dans ceux qui tiennent les rênes du gouvernement , fùt- elle sans exercice, répand sur tout un peuple une somme de bonheur qu'on ne peut estimer; l'espé- rance, fût-elle vaine, est donc un bien réel , dont la jouissance se prend par anticipation sur tous les au- tres biens. Je suis forcé d'avouer que la pleine sagesse ne fait pas le plein bonheur de l'homme; que mal- heureusement la raison seule n'eut en tous temps qu'un petit nombre d'auditeurs froids, et ne fit jamais d'enlhousiastes ; que l'homme comblé de biens ne se trouveroit pas encore heureux s'il n'en espéroit de nouveaux ; que le superflu devient avec le temps chose très nécessaire, et que la seule difi'érence qu'il y ait ici entre le sage et le non sage, c'est que ce der- nier, au moment môme qu'il lui arrive une surabon- dance de bien , convertit ce beau superflu en triste nécessaire , et monte son état à l'égal de sa nouvelle fortune, tandis que l'homme sage, n'usant de cette surabondance que pour répandre des bienfaits , et pour se procurer quelques plaisirs nouveaux, ménage la consommation de ce superflu en même temps qu'il en multiplie la jouissance.

XXII. L'étalage de l'espérance est le leurre de tous les pipeurs d'argent. Le grand art du faiseur de lo- terie est de présenter de grosses sommes avec de très

50 DE l'homme.

petites probabilités, bientôt enflées par le ressort de Ja cupidité. Ces pipeurs grossissent encore ce produit idéal en le partageant, et donnant pour un très petit argent, dont tout le inonde peut se défaire, une espé- rance qui, quoique bien plus petite, paroît participer de la grandeur de la somme totale. On ne sait pas que, quand la probabilité est au dessous d'un millième, l'es- pérance devient nulle , quelque grande que soit la somme promise, puisque toute chose, quelque grande qu'elle puisse être, se réduit à rien dès qu'elle est nécessairement multipliée par rien, comme l'est ici la grosse somme d'argent multipliée par la probabi- lité nulle, comme l'est en général tout nombre qui, multiplié par zéro, est toujours zéro. On ignore en- core qu'indépendamment de cette réduction des pro- babilités à rien, dès qu'elles sont au dessous d'un millième , l'espérance souffre un déchet successif" et proportionnel à la valeur morale de l'argent, toujours moindre que sa valeur numérique ; en sorte que ce- lui dont l'espérance numérique paroît double de celle d'un autre n'a néanmoins que ^/^ d'espérance réelle au lieu de 2 ; et que de même celui dont l'es- pérance numérique est 4 n'a que 3 V25 ^^ cette es- pérance morale, dont le produit est le seul réel ; qu'au lieu de 8 , ce produit n'est que 5 ^; qu'au lieu de 16, il n'est que 10 J|^, au lieu de 02, 18^^; au lieu de 64, 54^^^; au lieu de 128, 61 ~^^; au lieu de 256, no^r^; a" lieu de 5i2, ig^i^V^; au lieu de 1024, oSy j-j—, etc. : d'où l'on voit com- bien l'espérance morale diffère, dans tous les cas, de l'espérance numérique pour le produit réel qui en résulte. L'homme sage doit donc rejeter comme

ESSAI d'aKITHMÉTIQUE MORALE. 5l

fausses toutes les propositions , quoique démontrées par le calcul, la très grande quantité d'argent sem- ble compenser la très petite probabilité; et s'il vent risquer avec moins de désavantage, il ne doit jamais mettre ses fonds à la grosse aventure; il faut les par- tager. Hasarder cent mille francs sur un seul vaisseau, ou vingt-cinq mille francs sur quatre vaisseaux, n'est pas la même chose ; car on aura cent pour le produit de l'espérance morale dans ce dernier cas, tandis qu'on n'aura que quatre-vingt-un pour ce même pro- duit dans le premier cas. C'est par cette même raison que les commerces les plus sûrement lucratifs sorU ceux la masse du débit est divisée en un grand nombre de créditeurs. Le propriétaire de la masse ne peut essuyer que de légères banqueroutes, au lieu qu'il n'en faut qu'une pour le ruiner si cette masse de son commerce ne peut passer que par une seule main, ou même ne se partager qu'entre un pelit nombre de débiteurs. Jouer gros jeu, dans le sens moral , est jouer un mauvais jeu : un ponte au pha- raon ^ qui se mettroit dans la tête de pousser toutes ses cartes jusqu'au quinze et le va^ perdroit près d'un quart sur le produit de son espérance morale; car tandis que son espérance numérique est de tirer 16, l'espérance morale n'est que de i5 ~, Il en est de même d'une infinité d'autres exemples qu'on pour- roit donner ; et de tous il résultera toujours que l'homme sage doit mettre au hasard le moins qu'il est possible, et que l'homme prudent qui par sa po- sition ou son commerce est forcé de risquer de gros fonds doit les partager, et retrancher de ses spécu- lations toutes les espérances dont la probabilité est

52 DE l'homme.

très petite, quoique la somme à obtenir soit propor- tionnelleuieiit aussi grande.

XXIII. L'analyse est le seul instrument dont on se soit servi jusqu'à ce jour dans la science des pro- babilités pour déterminer et fixer les rapports du ha- sard: la géométrie paroissoit peu propre à un ouvrage aussi délié} cependant si l'on y regarde de près, il sera facile de reconnoître que cet avantage de l'ana- lyse sur la géométrie est tout-à-fait accidentel, et que le hasard, selon qu'il est modifié et conditionné, se trouve du ressort de la géométrie aussi bien que de celui de l'analyse. Pour s'en assurer il suffira de faire attention que les jeux et les questions de con- jecture ne roulent ordinairement que sur des rap- ports de quantités discrètes; l'esprit humain, plus familier avec les nombres qu'avec les mesures de l'é- tendue, les a toujours préférés : les jeux en sont une preuve, car leurs lois sont une arithmétique conti- nuelle. Pour mettre donc la géométrie en possession de ses droits sur la science du hasard , il ne s'agit que d'inventer des jeux qui roulent sur l'étendue et sur ses rapports , ou calculer le petit nombre de ceux de cette nature qui sont déjà trouvés. Le jeu du franc- carreau peut nous servir d'exemple : voici ses condi- fions qui sont fort simples.

Dans une chambre parquetée ou pavée de car- reaux égaux, d'une figure quelconque, on jette en l'air un écu ; l'un des joueurs parie que cet écu, après sa chute, se trouvera à franc-carreau, c'est-à-dire sur un seul carreau ; le second parie que cet écu se trou- vera sur deux carreaux, c'est-à-dire qu'il couvrira un des joints qui les séparent; un troisième joueur parie

KSSAI d'aRITHxMÉTIQUE mouale. 55

que l'écu se trouvera sur deux joints; un quatrième parie que Técu se trouvera sur trois , quatre ou six joints : on demande le sort de chacun de ces joueurs.

Je cherche d'abord le sort du premier joueur et du second : pour le trouver, j'inscris dans l'un des carreaux une figure semblable, éloignée des côtés du carreau , de la longueur du demi-diamètre de l'écu; le sort du premier joueur sera à celui du second , comme la superficie de la couronne circonscrite est à la figure inscrite. Cela peut se démontrer aisément; car tant que le centre de l'écu est dans la figure in- scrite, cet écu ne peut être que sur un seul carreau, puisque par construction cette figure inscrite est par- tout éloignée du contour du carreau d'une distance égale au rayon de l'écu : et au contraire, dès que le centre de l'écu tombe au dehors de la figure inscrite, l'écu est nécessairement sur deux ou plusieurs car- reaux, puisque alors son rayon est plus grand que la distance du contour de cette figure inscrite au con- tour du carreau ; or, tous les points peut tomber ce centre de l'écu sont représentés, dans le premier cas, par la superficie de la couronne, qui fait le reste du carreau ; donc le sort du premier joueur est au sort du second, comme cette première superficie est à la seconde. Ainsi, pour rendre égal le sort de ces deux joueurs, il faut que la superficie de la figure in- scrite soit égale à celle de la couronne, ou, ce qui est la même chose , qu'elle soit la moitié de la surface totale du carreau.

Je me suis amusé à en faire le calcul , et j'ai trouvé que, pour jouer à jeu égal sur des carreaux carrés, le côté du carreau devoit être au diamètre de l'écu,

lîUFFOiV. XIJI. 4

54 DE l'homme.

comme i I i |/ V2 ' c'est-à-dire à peu près 5 fois */2 pî^is grand que le diamètre de la pièce avec la- quelie ou joue.

Pour jouer sur des carreaux triangulaires équi- latéraux le côté du carreau doit être au diamètre

(le la pièce comme 1 ', ^ , ^ , , , c'est-à-dire pres- te 5 + 5 K V2 ' ^

que six fois le diamètre de la pièce.

Sur les carreaux en losange , le cote du carreau

*/ 1/ 3 doit être au diamètre de la pièce comme 1 ', - - ,

^ 2 X K 2

c'est-à-dire presque quatre fois plus grand.

Enfin, sur des carreaux hexagones, le côté du carreau doit être au diamètre de la pièce comme

1 l ^ ~r- , c'est-à-dire presque double.

Je n'ai pas fait le calcul pour d'autres figures, parce que celles-ci sont les seules dont on puisse remplir un espace sans y laisser des intervalles d'au- tres figures ; et je n'ai pas cru qu'il fût nécessaire d'avertir que les joints des carreaux ayant quelque largeur, ils donnent de l'avantage au joueur qui parie pour le joint, et que par conséquent l'on fera bien, pour rendre le jeu encore plus égal, de donner aux carreaux carrés un peu plus de trois fois et demie, aux triangulaires six fois , aux losanges quatre fois et aux hexagones deux fois la longueur du diamètre de la pièce avec laquelle on joue.

Je cherche maintenant le sort du troisième joueur, qui parie que l'écu se trouvera sur deux joints, et pour le trouver j'inscris dans l'un des carreaux une figure semblable, comme j'ai déjà fait ; ensuite je pro- longe les côtés de cette figure inscrite jusqu'à ce

ESSAI d'arithmétique MORALE. 55

qu'ils rencontrent ceux du carreau : le sort du troi- sième joueur sera à celui de son adversaire comme la somme des espaces compris entre le prolongement de ces lignes et les cotés du carreau est au reste de la surface du carreau. Ceci n'a besoin, pour être plei- nement démontré, que d'être bien entendu.

J'ai fait aussi le calcul de ce cas, et j'ai trouvé que, pour jouer à jeu égal sur des carreaux carrés, le côté du carreau doit être au diamètre de la pièce comme

1 '. -7-7, c'est-à-dire plus grand d'un peu moins d'un tiers.

Sur des carreaux triangulaires équilatéraux le côté du carreau doit être au diamètre de la pièce comme ï ' Vsî c'est-à-dire double.

Sur des carreaux en losange le côté du carreau

1/1/5 doit être au diamètre de la pièce comme i l ,

c'est-à-dire plus grand d'environ deux cinquièmes.

Sur des carreaux hexagones le côté du carreau doit être au diamètre de la pièce comme i \ V2I/ ^' c'est- à-dire plus grand d'un de mi- quart.

Maintenant le quatrième joueur parie que, sur des carreaux triangulaires équilatéraux, l'écu se trouvera sur six joints; que, sur des carreaux carrés ou en lo- sange, il se trouvera sur quatre joints; et que, sur des carreaux hexagones, il se trouvera sur trois joints: pour déterminer son sort , je décris de la pointe d'un angle du carreau un cercle égal à l'écu, et je dis que, sur des carreaux triangulaires équilatéraux, son sort sera à celui de son adversaire, comme la moitié de la superficie de ce cercle est à celle du reste du carreau; que , sur des carreaux carrés ou en losange, son sort

56 DE l'homme.

sera à celui de l'aiUre , comme la superficie entière du cercle est à celle du reste du carreau; et que, sur des carreaux hexagones, son sort sera à celui de son adversaire cciiime le double de celte superficie du cercle est au reste du carreau. En supposant donc que la circonférence du cercle est au diamètre comme 22 sont à 7, on trouvera que, pour Jouer à jeu égal sur des carreaux triangulaires équilatéraux , le côté du carreau doit être au diamètre de la pièce comme

1 : ^ ^, c'est-à-dire plus grand d'un peu plus d'un

quart.

Sur des carreaux en losange le sort sera le même que sur des carreaux triangulaires équilatéraux.

Sur des carreaux carrés le côté du carreau doit

être au diamètre de la pièce comme il , c'est-

^ 7

à-dire plus grand d'environ un cinquième.

Sur des carreaux hexagones le côté du carreau doit

être au diamètre de lapiece comme 1 . , c est- à-dire plus grand d'environ un treizième.

J'omets ici la solution de plusieurs autres cas, comme lorsque l'un des joueurs parie que l'écu ne tombera que sur un joint ou sur deux, sur trois, etc. : ils n'ont rien de plus difficile que les précédents; et d'ailleurs ou joue rarement ce jeu avec d'autres con- ditions que celles dont nous avons fait mention.

Mais si au lieu de jeter en l'air une pièce ronde, comme un écu , on jetoit une pièce d'une autre li- gure, comme une pistole d'Espagne carrée , ou une aiguille, une baguette, etc., le problème demande- roit un peu plus de géométrie, quoiqu'en général il

ESSAI d'arithmétique mouale. 57

fut toujours possible d'en donner la solution par des comparaisons d'espace , comme nous allons le dé- montrer.

Je suppose que dans une chambre dont le parquet est simplement divisé par des points parallèles , on jette en l'air une baguette , et que l'un des joueurs parie que la baguette ne croisera aucune des paral- lèles du parquet, et que l'autre au contraire parie que la baguette croisera quelques unes de ces paral- lèles; on demande le sort de ces deux joueurs [on peut jouer ce jeu sur un damier avec une aiguille à cou- dre ou une épingle sans tête).

Pour le trouver je tire d'abord , entre les deux joints parallèles A B et C Z) du parquet, deux autres lignes parallèles a l? el c d , éloignées des

..^

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a

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premières de la moitié de la longueur de la baguette £ F ^ et je vois évidemment que tant que le milieu ;de la baguette sera entre ces deux secondes parallèles , jamais elle ne pourra croiser les premières dans quel- que situation EF^ e f^ qu'elle puisse se trouver; et comme tout ce qui peut arriver au dessus de a b ar-

58 DE L'HOMME.

rive de même au dessous decdjWne s'agit que de déterminer l'un ou l'autre ; pour cela je remarque que toutes les situations de la baguette peuvent être représentées par le quart de la circonférence du cer- cle, dont la longueur de la baguette est le diamètre ; appelant donc 2 a la distance C A des joints du par- quet, C le quart de la circonférence du cercle dont la longueur de la baguette est le diamètre; appelant 2 b\dL longueur de la baguette , et /* la longueur A B des joints , j'aurai f [a b) c pour l'expression qui représente la probabilité de ne point croiser le joint du parquet, ou, ce qui est la même chose, pour l'ex- pression de tous les cas le milieu de la baguette tombe au dessous de la ligne a /> et au dessus de la ligne c d.

Mais lorsque le milieu de la baguette tombe hors de l'espace a b d c ^ compris entre les secondes paral- lèles , elle peut, suivant sa situation, croiser ou ne

A

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r\ a

B

a

J' rr

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h

7\

c

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/ \F

d

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B

pas croiser le joint; de sorte que le milieu de la ba- guette étant , par exemple, en 5, l'arc <^ G représen- tera toutes les situations elle croisera le joint, et

ESSAI d'arithmétique mohale. 09

Tare G H toutes celles elle ne croisera pas ; et comme il en sera de même de tous les points de la ligne g (p, j'appelle d x les petites parties de cette ligne, et y les arcs de cercle (^ G^ et j'ai f [s y d x) pour i'expressioQ de tous les cas la baguette croisera ,

et f [b c sydx) pour celle des cas elle ne croi- sera pas; j'ajoute cette dernière expression à celle trouvée ci-dessus f [a b) c^ afin d'avoir la totalité des cas la baguette ne croisera pas, et dès lors je vois que le sort du premier joueur est à celui du se- cond comme a csydx l sydx.

Si l'on veut donc que le jeu soit égal, Ton aura

o /*/ // «27

ac=2sydXj ou a= -\- , c'est-à-dire à l'aire d'une

partie de cycloïde , dont le cercle générateur a pour diamètre 2 /»j longueur de la baguette ; or, on sait que cette aire de cycloïde est égale au carré du rayon:

donc«=-r7— , c'est-à-dire que la longueur de la ba-

guette doit faire à peu près les trois quarts de la dis- tance des joints du parquet.

La solution de ce premier cas nous conduit aisé- ment à celle d'un autre, qui d'abord auroit paru plus difficile, qui est de déterminer le sort de ces deux joueurs dans une chambre pavée de carreaux carrés; car en inscrivant dans l'un des carreaux carrés un carré éloigné partout des côtés du carreau de la lon- gueur b , l'on aura d'abord c [a bY pour l'expres- sion d'une partie des cas la baguette ne croi- sera pas le joint; ensuite on trouvera (2 a b) sydx pour celle de tous les cas elle croisera, et enfin

f; f) ^2 a b) {2a b) sydx pour le reste des cas

6o DE l' H 0 31 ME.

elle ne croisera pas. Ainsi le sort du premier joueur est à celui du second comme c [a b)^^cb {2 a b) {ca b) sydx \ (2 a b) sydx.

Si Ton veut donc que le jeu soit égal , Ton aura c (a b)'^ -\- cb [2 a b) === {2 a b)^ sydxj ou

I C CL et

Il == sydx. Mais, comme nous l'avons vu ci-des-

•2 a b "^

/ C Ci Cl

sus , SYdx = bb; donc 7 =z=:b b : ainsi le côté du

carreau doit être à la longueur à peu près comme ^V99 - I5 c'est-à-dire pas tout-à-fait double. Si l'on jouoit donc sur un damier avec une aiguille dont la longueur seroit la moitié de la longueur du côté des carrés du damier, il y auroit de l'avantage à pa- rier que l'aiguille croisera les joints.

On trouvera par un calcul semblable que si l'on joue avec une pièce de monnoie carrée , la somme des sorts sera au sort du joueur qui parie pour le joint comme a a c '. l\. a b b [X ^/^ -— b^ ^/^ Â b, A marque ici l'excès de la superficie du cercle cir- conscrit au carré , et ^ la demi - diagonale de ce carré.

Ces exemples suffisent pour donner une idée des jevix que l'on peut imaginer sur les rapports de l'é- tendue. L'on pourroil se proposer plusieurs autres questions de cette espèce, qui ne laisseroient pas d'être curieuses et môme utiles : si l'on demandoit, par exemple, combien l'on risque à passer une rivière sur une planche plus ou moins étroite; quelle doit être la peur que l'on doit avoir de la foudre ou de la chute d'une bombe; et nombre d'autres problè- mes de conjectures, l'on ne doit considérer que

ESSAI d'aRITHiMÉTIQUE MORALE. 6l

le rapport de l'étendue, et qui par conséquent ap- partiennent à la géométrie tout autant qu'à l'analyse.

XXIV. Dés les premiers pas qu'on fait en géométrie l'on trouve rintini , et dès les temps les plus reculés les géomètres l'ont entrevu; la quadrature de la pa- rabole et le traité De numéro arenœ d'Archimède prouvent que ce grand homme avoit des idées de l'infini, et môme des idées telles qu'on les doit avoir; on a étendu ces idées, on les a maniées de différentes façons; enfin on a trouvé l'art d'y appliquer le calcul : mais le fond de la métaphysique de l'inGni n'a point changé, et ce n'est que dans ces derniers temps que quelques géomètres nous ont donné sur l'infini des vues différentes de celles des anciens et si éloignées de la nature des choses et de la vérité, qu'on l'a méconnue jusque dans les ouvrages de ces grands mathématiciens. De sont venues toutes les oppositions, toutes les con- tradictions qu'on a fait souffrir au calcul infinitésimal ; delà sont venues les disputes entre les géomètres sur la façon de prendre ce calcul , et sur les principes dont il dérive. On a été étonné des espèces de pro- diges que ce calcul opéroit. Cet étonnement a été suivi de confusion ; on a cru que l'infini produisoit toutes ces merveilles; on s'est imaginé que la con- noissance de cet infini avoit été refusée à tous les siè- cles et réservée pour le nôtre; enfin on a bâti sur cela des systèmes qui n'ont servi qu'à obscurcir les idées. Disons donc ici deux mots de la nature de cet infini, qui, en éclairant les hommes, semble les avoir éblouis.

Nous avons des idées nettes de la grandeur ; nous voyons que les choses en général peuvent être aug-

62 DE l'homaiï;.

mentéos ou diminuées, et l'idée d'une chose deve- nue plus grande ou pins petite est une idée qui nous est aussi présente et aussi familière que celle de la chose même. Une chose quelconque nous étant donc présentée ou étant seulement imaginée, nous voyons qu'il est possible de l'augmenter ou de la diminuer; rien n'arrête, rien ne détruit cette possibilité; on peut toujours concevoir la moitié de la plus petite chose, et le double de la plus grande chose; on peut même concevoir qu'elle peut devenir cent fois, mille fois, cent mille fois plus petite ou plus grande ; et c'est cette possibilité d'augmentation sans bornes en quoi consiste la véritable idée qu'on doit avoir de l'infini. Cette idée nous vient de l'idée du fini : une chose finie est une chose qui a des termes, des bornes ; une chose infinie n'est que cette même chose finie à laquelle nous ôtons ces termes et ces bornes : ainsi l'idée de l'infini n'est qu'une idée de privation , et n'a point d'objet réel. Ce n'est pas ici le lieu de faire voir que l'espace , le temps, la durée , ne sont pas des infinis réels; il nous suffira de prouver qu'il n'y a point de nombre actuellement infini, ou infiniment petit , ou plus grand ou plus petit qu'un infini , etc.

Le nombre n'est qu'un assemblage d'unités de même espèce : l'unité n'est point un nombre , l'u- nité désigne une seule chose en général ; mais le pre- mier nombre 2 marque non seulement deux choses, mais encore deux choses semblables, deux choses de même espèce : il en est de même de tous les autres nombres. Or, ces nombres ne sont que des repré- sentations, et n'existent jamais indépendamment des choses qu'ils représentent; les caractères qui les dé-

ESSAI d'arithmétique MORALE. 65

signent ne leur donnent point de réalité; il leur faut un sujet ou plutôt un assemblage de sujets à repré- senter, pour que leur existence soit possible : j'en- tends leur existence intelligible, car ils n'en peuvent avoir de réelle ; or, un assemblage d'unités ou de su- jets ne peut jamais être que fini, c'est-à-dire qu'on pourra toujours assigner les parties dont il est com- posé; par conséquent le nombre ne peut être infini, quelque augmentation qu'on lui donne.

Mais, dira-t-on , le dernier terme de la suite natu- relle 1, 2, 3, 4> etc., n'est-il pas infini? n'y a-t-il pas des derniers termes d'autres suites encore plus infi- nis que le dernier terme de la suite naturelle? il paroît qu'en général les nombres doivent à la fin devenir in- finis, puisqu'il sont toujours susceptibles d'augmen- tation. A cela je réponds que cette augmentation dont ils sont susceptibles prouve évidemment qu'ils ne peuvent être infinis : je dis de plus que dans ces .sui- tes il n'y a point de dernier terme; que même leur supposer un dernier terme, c'est détruire l'essence de la suite, qui consiste dans la succession des ter- mes qui peuvent être suivis d'autres termes , et ces autres termes encore d'autres, mais qui tous sont de même nature que les précédents, c'est-à-dire tous finis, tous composés d'unités : ainsi, lorsqu'on sup- pose qu'une suite a un dernier terme, et que ce der- nier terme est un nombre infini, on va contre la dé- finition du nombre , et contre la loi générale des suites.

La plupart de nos erreurs en métaphysique vien- nent de la réalité que nous donnons aux idées de

64 DE l'homme.

prlvalion : nous connoissons le fini , nous y voyons des propriétés réelles, nous l'en dépouillons, et en le considérant après ce dépouillement nous ne le re- connoissons plus, et nous croyons avoir créé un être nouveau, tandis que nous n'avons fait que détruire quelque partie de celui qui nous étoit anciennement connu.

On ne doit donc considérer l'infini, soit en petit, soit en grand, que comme une privation, un retran- chement à l'idée du fini, dont on peut se servir comme d'une supposition, qui, dans quelques cas, peut aider à simplifier les idées, et doit généraliser leurs résul- tats dans la pratique des sciences : ainsi tout l'art se réduit à tirer parti de cette supposition , en tâchant de l'appliquer aux sujets que l'on considère. Tout le mérite est donc dans l'application, en un mot, dans l'emploi qu'on en fait.

XXV. Toutes nos connoissances sont fondées sur des rapports et des comparaisons : tout est donc re- lation dans l'univers; et dès lors tout est susceptible de mesure; nos idées mêmes, étant toutes relatives, n'ont rien d'absolu. Il y a, comme nous l'avons démon- tré, des degrés différents de probabilité et de certi- tude. Et même l'évidence a plus ou moins de clarté, plus ou moins d'intensité, selon les diûerents aspects, c'est-à-dire suivant les rapports sous lesquels elle se présente; la vérité transmise et comparée par difie- reiits esprits, paroît sous des rapports plus ou moins grands, puisque le résultat de l'ailOrmation ou de la négation d'une proposition par tous les hommes en général, semble donner encore du poids aux vérités

ESSAI d'arithmétique MORALE. 65

Jes mieux démontrées, et les plus indépendantes de toute convention.

Les propriétés de la matière, qui nous paroissent évidemment distinctes les uns des autres, n'ont au- cune relation entre elles; l'étendue ne peut se com- parer avec la pesanteur, l'impénétrabilité avec le temps , le mouvement avec la surface, etc. Ces pro- priétés n'ont de commun que le sujet qui les lie et qui leur donne l'être : chacune de ces propriétés, considérée séparément, demande donc une mesure de son genre, c'est-à-dire une mesure différente de toutes les autres.

MESURES ARITHMETIQUES.

11 n'étoit donc pas possible de leur appliquer une mesure commune qui fût réelle ; mais la mesure in- tellectuelle s'est présentée naturellement. Cette me- sure est le nombre qui , pris généralement , n'est autre chose que V ordre des quantités; c'est une me- sure universelle et applicable à toutes les propriétés de la matière : mais elle n'existe qu'autant que cette application lui donne de la réalité, et même elle ne peut être conçue indépendamment de son sujet; ce- pendant on est venu o bout de la traiter comnie une chose réelle; on a représenté les nombres par des caractères arbitraires, auxquels on a attaché les idées de relations prises du sujet, et par ce moyen on s'est trouvé en état de mesurer leurs rapports, sans aucun égard aux relations des quantités qu'ils représentent.

66 DE l'homme.

Celte mesure est même devenue plus familière à l'esprit humain que les autres mesures : c'est en effet le produit pur de ses réflexions; celles qu'il fait sur les mesures d'un autre genre ont toujours pour ob- jet la matière, et tiennent souvent des obscurités qui l'environnent. Mais ce nombre, cette mesure, qui, dans l'abstrait, nous paroît si parfaite, a bien des défauts dans l'application, et souvent la difficulté des problèmes dans les sciences matbémaliques ne vient que de l'emploi forcé et de l'application con- trainte qu'on est obligé de faire d'une mesure nu- mérique absolument trop longue ou trop courte; les nombres vSourds, les quantités qui ne peuvent s'in- tégrer, et toutes les approximations, prouvent l'im- perfection de la mesure, et plus encore la difficulté des applications.

Néanmoins il n'étoit pas permis aux hommes de rendre dans l'application cette mesure numérique parfaite à tous égards : il auroit fallu pour cela que nos connoissances sur les différentes qualités de la matière se fussent trouvées être du même ordre, et que ces propriétés elles-mêmes eussent eu des rap- ports analogues ; accord impossible et contraire à la nature de nos sens , dont chacun produit une idée d'un genre différent et incommensurable.

XXVI. Mais on auroit pu manier cette mesure avec plus d'adresse, en traitant les rapports des nombres d'une manière plus commode et plus heureuse dans l'application. Ce n'est pas que les lois de notre arith- métique ne soient très bien entendues; mais leurs principes ont été posés d'une manière trop arbitraire.

ESSAI d'aUITIIMÉTIQUE MORALE. 67

et sans avoir égard à ce qui étoit nécessaire pour leur donner une juste convenance avec les rapports réels des quantités.

L'expression de la marche de cette mesure numé- rique , autrement l'échelle de notre arithmétique , auroit pu être différente : le nombre lo étoit peut- être moins propre qu'un autre nombre à lui servir de fondement ; car, pour peu qu'on y réfléchisse, on aperçoit aisément que toute notre arithmétique roule sur ce nombre lo et sur ses puissances, c'est-à-dire sur ce même nombre lo multiplié par lui-même : les autres nombres primitifs ne sont que les signes de la quotité, ou les coefficients et les indices de ces puissances , en sorte que tout nombre est toujours un multiple ou une somme de multiples des puis- sances de 10. Pour le voir clairement on doit remar- quer que la suite des puissances de dix, lo^ lo^, lO^ 10^, 10^, etc., est la suite des nombres i, lo, lOO, 1000, 10000, etc., et qu'ainsi un nombre quelcon- que, comme huit mille six cent quarante-deux, n'est autre chose que 8 X 10^+6 X 1 0^ + 4 X 10^ + '2 X 10^; c'est-à-dire une suite de puissances de lo multipliée par différents coefficients. Dans la notation ordinaire la valeur des places de droite à gauche est donc toujours proportionnelle à cette suite lo^, i o^, 10^, 10^, etc., et l'uniformité de cette suite a permis que, dans l'usage, on pût se contenter des coefli-' cients, et sous-entendre cette suite de lO aussi bien que les signes -j- qui , dans toute collection de choses déterminées et homogènes, peuvent être supprimés j en sorte que l'on écrit simplement 8642.

Le nombre 10 est donc la racine de tous les au-

68 DE l'homme.

très nombres entiers, c'est-à-dire la racine de notre échelle d'arithmétique ascendante : mais ce n'est que depuis l'invention des fractions décimales, que lo est aussi la racine de notre échelle d'arithmétique descendante ; les fractions V2 > V3? V4? etc., ou Va? Va» V55 etc., toutes les fractions, en un mot, dont on s'est servi jusqu'à l'inventiou des décimales, et dont on se sert encore tous les jours, n'appartiennent pas à la mTime échelle d'arithmétique, ou plutôt donnent chacune une nouvelle échelle; et de sont venus les embarras du calcul, les réductions à moindres termes, le peu de rapidité des convergences dans les suites, et souvent la difficulté de les sommer; en sorte que les fractions décimales ont donné à notre échelle d'arithmétique une partie qui lui manquoit , et à nos calculs l'uniformité nécessaire pour les com- paraisons immédiates : c'est tout ce qu'on pouvoit tirer de cette idée.

Mais ce nombre 10, cette racine de notre échelle d'arithmétique, étoit-ellece qu'il y a de mieux ? Pour- quoi l'a-t-on préféré aux antres nombres, qui tous pouvoienl aussi être la racine d'une échelle d'arith- métique? On peut imaginer que la conformation de la main a déterminé plutôt qu'une connoissancc de réflexion. L'homme a d'abord compté par ses doigts ; le nombre 10 a paru lui appartenir plus que les au- tres nombres, et s'est trouvé le plus près de ses yeux. On peut donc croire que ce notnbre 10 a eu la pré- férence , peut-être sans aucune autre raison; il ne faut, pour en être persuadé, qu'examiner la nature des autres échelles, et les comparer avec notre échelle denaire.

ESSAI d'arithmétique MORALE. 69

Sans employer des caractères il seroit aise de faire une bonne échelle denairebien raisonnée parles inflexions et les différents mouvements des doigts et des deux mains; échelle qui suffiroit à tous les besoins dans la vie civile, et à toutes les indications nécessaires. Cette arithmétique est même naturelle à l'homme, et il est probable qu'elle a été et qu'elle sera encore souvent en usage , parce qu'elle est fondée sur un rapport physique et invariable qui durera autant que l'espèce humaine , et qu'elle est indépendante du temps et de la réflexion que les arts présupposent.

Mais, en prenant même notre échelle denaire dans la perfection que l'invention des caractères lui a pro- curée, il est évident que comme on compte jusqu'à neuf, après quoi on recommence en joignant le deuxième caractère au premier, ensuite le second au second, puis le deuxième au troisième, etc. , on pour- roit , au lieu d'aller jusqu'à neuf, n'aller que jusqu'à huit , et de recommencer, ou jusqu'à sept, ou jus- qu'à quatre, ou même n'aller qu'à deux : mais , par la même raison, il étoit libre d'aller au delà de dix, avant que de recommencer, comme jusqu'à onze , jusqu'à douze, jusqu'à soixante, jusqu'à cent, etc., et de on voit clairement que plus les échelles sont longues, et moins les calculs tiennent de place : de sorte que dans l'échelle centenaire, on emploie- foit cent différents caractères, il n'enfaudroit qu'un, comme C^ pour exprimer cent ; dans l'échelle duo- denaire, l'on se serviroit de douze différents carac- tères, il en faudroit deux, savoir 8, 4; dans l'échelle denaire il en faut trois, savoir, i. G, G; dans l'échelle quartenaire l'on n'emploieroit que les quatre ca-

BUFFON. Xm.

70 DE ï. HOMME.

ractères, o, i , 2 et 3, il en faudroit quatre , savoir,

1, 2, i, 0; dans l'éclielle trinaire, cinq, savoir, 1, o,

2, o, 1 ; et enfin dans l'échelle binaire, sept, savoir. 1, 1, 0, o, 1, o, O5 pour exprimer cent.

XXVII. Mais de toutes ces échelles quelle est Ja plus commode? quelle est celle qu'on auroit pré- férer? D'abord il est certain que la denaire est plus expéditive que toutes celles qui sont au dessous, c'est-à-dire plus expéditive que les échelles qui ne s'élèveroient que jusqu'à neuf, ou jusqu'à huit, ou sept, etc., puisque les nombres y occupent moins de place. Toutes ces échelles inférieures tiennent donc plus ou moins du défaut d'une trop longue expression ; défaut qui n'est d'ailleurs compensé par aucun avantage que celui de n'employer que deux caractères 1 et o, dans l'arithmétique binaire ; trois caractères, 2, i et o, dans la trinaire; quatre carac- tères, 5, 2, 1 et o, dans l'échelle quarlenaire, etc. : ce qui, à le prendre dans le vrai, n'en est pas un , puisque la mémoire de l'homme en retient fort aisé- ment un plus grand nombre, comme dix ou douze, et plus encore s'il le faut.

Il est aisé de conclure de qi]e tous les avantages que Leibnitz a supposés à l'arithmétique binaire se réduisent à expliquer son énigme chinoise ; car com- ment seroit-il possible d'exprimer de grands nom- bres par cette échelle, comment les manier, et quelle voie d'abréger ou de faciliter des calculs dont les ex- pressions sont trop étendues?

Le nombre dix a donc été préféré, avec raison , à tous ses subalternes ; mais nous allons voir qu'on nc^ doit pas lui accorder cet avantage sur tous les autres

ESSAI d'aIUTHMÉTIQUE MORALE. 7I

nombres supérieurs. Une arithmétique dont l'échelle auroit eu le nombre douze pour racine auroit été bien plus commode; les grands nombres auroient occupé moins de place, et en même temps les fractions au- roient été plus rondes. Les liommes ont si bien senti cette vérité qu'après avoir adopté l'arithmétique de- naire ils ne laissent pas que de se servir de l'échelle duodenaire : on compte souvent par douzaines, par douzaines de douzaines, ou grosses; le pied est dans l'échelle di?odenaire la troisième puissance de la ligne, le pouce la seconde puissanccc On prend le nombre douze pour l'unité; l'année se divise en douze mois, le jour en douze heures, le zodiaque en douze signes, le sous en douze deniers. Toutes les plus petites ou dernières mesures affectent le nombre douze , parce qu'on peut le diviser par deux , par trois, par quatre et par six ; au lieu que dix ne peut se diviser que par deux et par cinq , ce qui fait une différence essen- tielle dans la pratique pour la facilité des calculs el des mesures. Il ne faudroit dans cette échelle que deux caractères de plus, l'un pour marquer dix, et l'autre pour marquer onze, au moyen de quoi l'on auroit une arithmétique bien plus aisée à inanier que notre arithmétique ordinaire.

On pourroit, au lieu de douze, prendre pour racine de l'échelle quelques nombres, comme vingt-quatre ou trente-six, qui eussent de plus grands avantages encore pour la division, c'est-à-dire un plus grand nombre de parties aîiquotes que le nombre douze : en ce cas il faudroit quatorze caractères nouveaux pour l'échelle de vingt-quatre, et vingt-six caractères

72 DE L ICOjMME.

pour celle de trente-six, qu'on seroit obligé de re- tenir par mémoire; mais cela ne feroit aucune peine, puisqu'on retient si facilement les vingt-quatre lettres de l'alphabet lorsqu'on apprend à lire.

J'avoue que l'on pourroit faire une échelle d'arith- métique dont la racine seroit si grande qu'il faudroit beaucoup de temps pour en apprendre tous les ca- ractères. L'alphabet des Chinois est si mal entendu, ou plutôt si nombreux, qu'on passe sa vie à apprendre à lire. Cet inconvénient est le plus grand de tous. Ainsi Ton a parfaitement bien fait d'adopter un alpha- bet de peu de lettres, et une racine d'arithmétique de peu d'unités; et c'est déjà une raison de préférer douze à de très grands noml)res dans le choix d'une échelle d'arithmétique : mais ce ejui doit décider en sa faveur, c'est que dans l'usage de la vie les hommes n'ont pas besoin d'une si grande mesure, ils ne pour- roient même la manier aisément ; il en faut une qui soit proportionnée à leur propre grandeur, à leurs mouvements, et aux distances qu'ils peuvent par- courir. Douze doit déjà être bien grand, puisque dix nous suffit; et vouloir se servir d'un beaucoup plus grand nombre pour racine de notre échelle d'usage, ce seroit vouloir mesurer à la lieue Ja longueur d'un appartement.

Les astronomes , qui ont toujours été occupés de grands objets, et qui ont eu de grandes distances à mesurer, ont pris soixante pour la racine de leur échelle d'arithmétique, et ils ont adopté les carac- tères de l'échelle ordinaire pour coefficient; cette mesure expédie et arrive très promptemenl à une

ESSAI DAIU f HMÉTIQUE MORALE.

grande précision ; ils coaiptent par degrés, niinules, secondes, tierces, etc., c'est-à-dire par les puissances successives de soixante ; les coefficients sont tous les nombres plus petits que soixante : mais comme cette éclielle n'est en usage que dans certains cas, et qu'on ne s'en sert que pour les calculs simples , on a né- gligé d'exprimer chaque nombre par un seul carac- tère; ce qui cependant est essentiel pour conserver l'analogie avec les autres échelles, et pour fixer la valeur des places. Dans cette arithmétique les grands nombres occupent moins d'espace; mais, outre l'in- commodité des cinquante nouveaux caractères , les raisons que j'ai données ci-dessus doivent faire pré- férer, dans l'usage ordinaire, l'arithmétique de douze.

H seroit même fort à souhaiter qu'on voulut sub- stituer cette échelle à l'échelle denaire; mais, à moins d'une refonte générale dans les sciences, il n'est guère permis d'espérer qu'on change jamais notre arithmétique, parce que toutes les grandes pièces de calcul , les tables des tangentes, des sinus, des loga- rithmes, les éphémérides, etc., sont faites sur cette échelle, et que l'habitude d'arithmétique , comme l'habitude de toutes les choses qui sont d'un usage universel et nécessaire , ne peut être réformée que par une loi qui abrogeroit l'ancienne coutume, et contraindroit les peuples à se servir de la nouvelle méthode.

Après tout il seroit fort aisé de ramener tous les calculs à cette échelle, et le changement des tables ne demanderoit pas beaucoup de temps ; car en gé- néral il n'est pas difficile de transporter un nombre

74 i>E l'homme.

d'une échelle d'arithmétique dans une autre, et de

trouver son expression. Voici la manière de faire cette

opération.

Tout nombre, dans une échelle donnée, peut être exprimé par une suite.

ax'' -]^ bx''-'-\-cx''-' -{-dx''-'-\- etc.

X représente la racine de l'échelle arithmétique ; n la plus haute puissance de cette racine , ou , ce qui est la même chose, le nombre des places moins \; a^bjCjdj sont les coefficients ou les signes de la quotité. Par exemple, i^SS dans l'échelle denaire donnera ic==io,n=4 i=5,fl=i, b ='j, c = o, d = S; en sorte que ax''-\- b x"~' -\- c x''~^ -^ d x"~^ sera

1. 10^-1-7. 102 + 5. lo^-f 8. 10" =

1000 + 700 + 3o -f- 8 = 1738.

L'expression de ce même nombre dans une autre échelle arithmétique sera m [x ■j-)''-{-p (a^ij)*"' + q{a^±y)'-' + r{x-f~y)-\

y représente la différence de la racine de l'échelle

proposée et de la racine de Téchelle demandée ; y est

donc donnée aussi bien que ^. On déterminera v^ en

faisant le nombre proposé a x" -|- b x"~'' ^ c x"~'-\-

dx"~\ etc., égal [x-{-y) " ou^ = j5%* car, en passant

l ^ aux lo":arithmes, on aura v = -^—^. Pour déterminer

les cofficients m^ p^ q^ r^ il n'y aura qu'à diviser le nombre proposé A par (a^+j)"^ et faire m égal au quotient en nombres entiers ; ensuite diviser le reste par [x ±y)"~\ et faire p égal au quotient en nombres entiers ; et de même diviser le reste par

ESSAI d'arithmétique mokale. 75

[x ±y) "~\ et faire q égal au quotient en nombres entiers, et ainsi de suite jusqu'au dernier terme.

Par exemple, si l'on demande l'expression dans l'échelle arithmétique quinaire du nombre lySS de l'échelle denaire ,

;r=io,j = 5^ ^=1758, 5=:5;

, log. 1738 3.Q400498 , I

doncz^ = ,-^ 7 == ^-s = k ^^ nombres en-

log. 5 o. 0909700

tiers.

Je divise 1738 par 5^ ou ^2^, le quotient en nom- bres entiers est 2 = m; ensuite je divise le reste 488 par 5^ ou 125, le quotient en nombres entiers est 7)=p; et de môme je divise le reste 1 13 par 5^ ou 25, le quotient en nombres entiers est l^ = q; et divisant encore le reste i3 par 5^, le quotient est 2=r; et enfin divisant le dernier reste 3 par 5°== 1, le quotient est 3 = s; ainsi l'expression du nombre 1738 de l'échelle denaire sera 234^3 dans l'échelle arithmétique quinaire.

Si l'on demande Texpression du même nombre 1738 de l'échelle denaire dans l'échelle arithmétique duodenaire on aura

a>=io,j=2, A = 1738, 5=12;

, log. 4.738 3. sAooAqS - 1

donct' = ,-^ - = -^ == 3 en nombres en-

log. 12 i. 0791012

tiers. Je divise 1738 par 12^ ou 1728, le quotient en nombres entiers est i=m; ensuite je divise le reste 10 par 12^, le quotient en nombres entiers est o=p^ et de même je divise ce reste 10 par 12*, le quotient en nombres entiers est o = g; et enfin je divise encore ce reste 10 par 12", le quotient est io==r; le nombre 1738 de l'échelle denaire sera

76 DE l'hOMîHE.

donc 100 K dans l'échelle duodenaire, en supposant que le caractère K exprime le nombre 10.

Si l'on veut avoir l'expression de ce nombre 1738 dans l'échelle arithmétique binaire, on aura

j=— 8,5=2,

log. 1738 3. 2400498 ,

v = \ = ; ;; = 10 en nombres entiers;

lOg. 2 O. ÛOIOÛOO

je divise 1758 par 2^^ ou 1024, le quotient en nom- bres entiers est i = ni; puis je divise le reste 714 par 2^ ou 5i2, le quotient est \==p; de même je divise le reste 202 par 2^ ou 2^Q , le quotient est ç)=zci; je divise encore ce reste 202 par 2^^ ou 128 , le quotient est 1 = r. De même le reste 74 divisé par 2^ ou 64 donne 1 ==s^ et le reste 10 divisé par 2^ ou 52 donne o=tj, et ce même reste 10 divisé par 2^ ou 16 donne encore o = u; mais ce même reste 10 divisé par 2^ ou 8 donne 1 =Wj et le reste 2 divisé par 2^ ou 4 donne o=^x; mais ce même reste 2 divisé par 2* donne i=jj et le reste 0 di- visé par 2^ ou 1 donne o=z. Donc le nombre 1738 de l'échelle denaire sera 1 101 10010 10 dans l'échelle binaire. îl en sera de même de toutes les autres échelles arithmétiques.

L'on voit qu'au moyen de cette formule on peut ramener aisément une échelle d'arithmétique quel- conque à telle autre échelle qu'on voudra, et que par conséquent on pourroit ramener tous les calculs et comptes faits à l'échelle duodenaire. Et, puisque cela est si facile, qu'il me soit permis d'ajouter encore un mot des avantages qui résulteroienl de ce changement : le toisé , l'arpentage, et tous les arts de mesure le pied, le pouce, et la ligne sont employés, devien-

ESSAI d'arithmétique MORALE. 77

droient bien pins faciles, parce que ces mesures se Irouveroient dans l'ordre des puissances de douze, et par conséquent feroient partie nécessaire de l'é- chelle, et partie qui sauteroit aux yeux; tous les arts et métiers le tiers, le quart, et le demi-tiers se présentent souvent, trouveroient plus de facilité dans toutes leurs applications; ce qu'on gagneroit en arith- métique se pourroit compter au centuple de profit pour les autres sciences et pour les arts.

XXYIII. INous avons vu qu'un nombre peut tou- jours, dans toutes les échelles d'arithmétique, être exprimé par les puissances successives d'un autre nombre , mulh'pliées par des coefficients qui suffisent pour nous indiquer le nombre cherché , quand, par l'habitude, on s'est familiarisé avec les puissances du nombre sous-entendu. Cette manière, toute générale qu'elle est, ne laisse pas d'être arbitraire comme tou- tes les autres qu'on pourroit et qu'il seroit môme fa- cile d'imaginer.

Les jetons, par exemple, se réduisent à une échelle dont les puissances successives, au lieu de se placer de droite à gauche, comme dans l'arithmétique ordi- naire, se mettent du bas en haut, chacune dans une ligne il faut autant de jetons qu'il y d'unité dans les coefficients. Cet inconvénient de la quantité de je- tons vient de ce qu'on n'emploie qu'une figure ou ca- ractère ; et c'est pour y remédier en partie qu'on abrège dans la même ligne en marquant les nombres 5, 5o, 5oo, etc., par un seul jeton séparé des autres. Cette façon de compter est très ancienne, et elle ne laisse pas d'être utile. Les femmes, et tant d'autres gens qui ne savent ou ne veulent pas écrire, aiment

78 DE l'hOiMME.

à manier des jetons; ils plaisent par l'habitude ; on s'en sert au jeu , c'en est assez pour les mettre en fa- veur.

Il seroit facile de rendre plus parfaite cette ma- nière d'arithmétique : il faudroit se servir de jetons de difl'érentes figures, de dix, neuf, ou mieux en- core de douze figures, toutes de valeur difl'érente; on pourroit alors calculer aussi promptement qu'a- vec la plume, et les plus grands nombres seroient exprimés, comme dans l'arithmétique ordinaire, par un très petit nombre de caractères. Dans l'Inde , les brachmanes se servent de petites coquilles de dif- férentes couleurs pour faire les calculs, même les plus difficiles, tels que ceux des éclipses.

On aura d'autres échelles et d'autres expressions par des lois différentes ou par d'autres suppositions : par exemple, on peut exprimer tous les nombres par un seul nombre élevé à une certaine puissance. Cette supposition sert de fondement à l'invention de toutes les échelles logarithmiques possibles, et donne des logarithmes ordinaires, en prenant 10 pour le nom- bre à élever, et en exprimant les puissances par les fractions décimales; car 2 peut être exprimé par 10 ^^,^, etc., 3 par 10 VAr^^v. etc., et en général

3010300 ' ' r 4771212 ' " O

un nombre quelconque ii peut être exprimé par un autre nombre quelconque rn^ élevé à une certaine puissance x. L'application de cette combinaison, que nous devons à Nieper, est peut-être ce qu'il y a de plus ingénieux et de plus utile en aiithmétique. En effet, ces nombres logarithmiques donnent la mesure immédiate des rapports de tous les nombres, et sont proprement les exposants de ces rapports; car les

ESSAI D ARITHMÉTIQUE MORALE. 79

puissances d'un nombre quelconque sont en progres- sion géométrique : ainsi le rapport arithmétique de deux nombres étant donné on a toujours leur rapport géométrique par leurs logarithmes; ce qui réduit tou- tes les multiplications et divisions à de siaipîes addi- tions et soustractions, et les extractions de racines à de simples partitions.

MESURES GÉOMÉTRIQUES.

XXIX. L'étendue, c'est-à-dire l'extension de la ma- tière, étant sujette à la variation de grandeur, a été le premier objet de mesures géométriques. Les trois di- mensions de cette extension ont exigé des mesures de trois espèces différentes, qui, sans pouvoir se comparer, ne laissent pas, dans l'usage, de se prêter à des rapports d'ordre et de correspondance. La ligne ne peut être mesurée que par la ligne; il en est de même de la surface et du solide, il faut toujours une surface ou un solide pour les mesurer. Cependant avec la ligne on peut souvent les mesurer tous trois par une correspondance sous-entendue de l'étendue de l'unité linéaire à l'unité de surface ou à l'unité de solide : par exemple , pour mesurer la surface d'un carré il suffit de mesurer la lonoueur d'un des côtés , et de multiplier cette longueur par elle- même; car cette multiplication produit une autre lon- gueur que l'on peut représenter par un nombre qui ne manquera pas de représenter aussi la surface cher- chée , puisqu'il y a le même rapport entre l'unité li- néaire, le côté du carré, et la longueur produite, qu'entre l'unité de surface , la surface qui ne s'étend

80 DE l'homme.

que sur le côté du carre , et la surface totale , et par conséquent on peut prendre Tune pour l'autre. Il en est de même des solides; et en général toutes les fois que les mêmes rapports de nombre pourront s'appli- quer à différentes qualités ou quantités on pourra tou- jours les mesurer les unes par les autres; et c'est pour cela qu'on a eu raison de représenter les vitesses par des lignes, les espaces par des surfaces, etc., et de mesurer plusieurs propriétés de la matière par les rapports qu'elles ont avec ceux de l'étendue.

L'extension eu longueur se mesure toujours par une ligne droite prise arbitrairement pour l'unité, avec un pied ou une toise prise pour l'unité ou mesure juste ; une longueur de cent pieds ou de cent toises, avec un demi-pied ou une demi-toise prise de même pour l'unité ou mesure juste; cent pieds et demi ou cent toises et demie, et ainsi des autres longueurs : celles qui sont incommensurables comme la diagonale et le côté du carré, font une exception.

Mais elle est bien légitime; car elle dépend de l'in- commensurabilité primordiale de la surface avec la ligne, et du défaut de correspondance, en certains cas, des échelles de ces mesures : leur marche est dif- férente, et il n'est point étonnant qu'une surface dou- ble d'une autre appuie sur une ligne dont on ne peut trouver le rapport en nombres avec l'autre ligne sur laquelle appuie la première surface; car, dans l'arith- métique, l'élévation aux puissances entières, comme au carré, au cube, etc., n'est qu'une multiplication ou môme une addition d'unités; elle appartient, par conséquent, à l'échelle d'arithmétique qui est en usage ; et la suite de toutes ces puissances doit s'y

ESSAI l)'y\RITIIMKTIQUE MOUALE. 8l

trouver et s'y trouve : mais l'extraction des racines, ou, ce qui est la même chose, l'élévation aux puis- sances rompues, n'appartient plus à cette même échelle; et tout de même qu'on ne peut, dans l'é- chelle denaire , exprimer la fraction V3 ^"^ par une suite infinie y^—^j-^ eïc, on ne peut aussi exprimer les puissances rompues on les racines ^2^ Vs? V4? ^^ plusieurs nombres, que par des suites infinies, et par conséquent ces racines ne peuvent être mesurées par la marche d'aucune échelle commune ; et comme la diagonale d'un carré est toujours la racine carrée du double d'un nombre carré, el que ce nombre double ne peut lui-môme être un nombre carré, il s'ensuit que le nombre qui représente cette diagonale ne se trouve pas dans l'échelle d'arithmétique, et ne peut s'y trouver, quoique le nombre qui représente la sur- face s'y trouve, parce que la surface est représentée par une puissance entière, et la diagonale par la puis- sance rompue ^/^ de 2, laquelle n'existe point dans notre échelle.

De la même manière qu'on mesure avec une ligne droite, prise arbitrairement pour l'unité, une lon- gueur droite , on peut aussi mesurer un assemblage de lignes droites, quelle que puisse être leur posi- tion entre elles : aussi la mesure des figures polj^gones n'a-t-elle d'autre difficulté que celle d'une répétition de mesures en longueur, et d'une addition de leurs résultats : mais les courbes se refusent à cette forme; et notre unité de mesure, quelque petite qu'elle soit, est toujours trop grande pour pouvoir s'appliquer à quelques unes de leurs parties ; la nécessité d'une mesure infiniment petite s'est donc fait sentir, et a

82 DE l'homme.

fait ëclore la méthaphysiqne des nouveaux calculs, sans lesquels, ou quelque chose d'équivalent, on auroit vainement tenté la mesure des lignes courbes.

On avoît déjà trouvé moyen de les contraindre , en les asservissant à une loi qui déterminoit l'un de leurs principaux rapports. Cette équation , l'échelle de leur marche, a fixé leur nature, et nous a permis de la considérer. Chaque courbe a la sienne toujours indépendante , et souvent incomparable avec celle d'une autre ; c'est l'espèce algébrique qui fait ici l'of- fice du nombre; et l'existence des relations des cour- bes , ou plutôt des rapports de leur marche et de leur forme , ne se voit qu'à la faveur de cette mesure indéfinie, qu'on a su appliquer à tous leurs pas, et par conséquent à tous leurs points.

On a donné le nom de courbes géométriques à celles dont on a su mesurer exactement la marche : mais , lorsqiie l'expression ou l'échelle de cette marche s'est refusée à cette exactitude, les courbes se sont appe- lées courbes mécaniques^ et on a pu leur donner une loi comme aux autres; car les équations aux courbes mécaniques, dans lesquelles on suppose une quan- tité qui ne peut être exprimée que par une suite in- finie , comme un arc de cercle d'ellipse , etc. , égale à une quantité finie, ne sont pas des lois de rigueur, et ne contraignent ces courbes qu'autant que la sup- position de pouvoir à chaque pas sommer la suite in- finie se trouve près de la vérité.

Les géomètres avoient donc trouvé l'art de repré- senter la forme des allures de la plupart des courbes; mais la difficulté d'exprimer la marche des courbes mécaniques , et l'impossibilité de les mesurer toutes,

ESSAI d'arithmétique morale. 87)

subsistoient encore en entier : et en effet, paroissoit- il possible de connoître cette mesure infiniment pe- tite? devoit-on espérer de pouvoir la manier et l'ap- pliquer? On a cependant surmonté ces obstacles , on a vaincu les impossibilités apparentes, on a reconnu que les parties supposées infiniment plus petites pou- voient et dévoient avoir entre elles des rapports finis; on a banni de la métaphysique les idées d'un infini absolu, pour y substituer celles d'un infini relatif plus traitable que l'autre , ou plutôt le seul que les hom- mes puissent apercevoir. Cet infini relatif s'est prêté à toutes les relations d'ordre et de convenance, de grandeur, et de petitesse ; on a trouvé moyen de ti- rer de l'équation à la courbe le rapport de ses côtés infiniment petits avec une droite infiniment petite, prise pour l'unité; et, par une opération inverse, on a su remonter de ces éléments infiniment petits à la longueur réelle et finie de la courbe. 11 en est de même des surfaces et des solides ; les nouvelles mé- thodes nous ont mis en état de tout mesurer. La néo- mélrie est maintenant une science complète; et les travaux de la postérité dans ce genre n'aboutirorit guère qu'à des facilités de calcul, et à des construc- tions de tables d'intégrales, qu'on ira consulter au besoin.

XXX. Dans la pratique on a proportionné aux dif- férentes étendues en longueur différentes unités plus ou moins grandes : les petites longueurs se mesurent avec des pieds, des pouces, des lignes, des aunes, des toises, etc., les grandes distances se mesurent avec des lieues, des degrés, des demi-diamètres de la terre, etc. Ces différentes mesures ont été introduites

84 DK l'homme.

pour une plus grande commodité, mais sans faire assez d'attention aux rapports qu'elles doivent avoir entre elles; de sorte que les petites mesures sont rarement parties aliquotes des grandes. Combien ne seroit-il pas à souhaiter qu'on eût fait ces unités commensurables entre elles ! et quel service ne nous auroit-on pas rendu si l'on avoit fixé la longueur de ces unités par une détermination invariable ! Mais il en est ici comme de tontes les choses arbitraires; on saisit celle qui se présente la première et qui paroît convenir, sans avoir égard aux rapports généraux qui ont paru de tout temps aux hommes vulgaires des vé- rités utiles et de pure spéculation. Chaque peuple a fait et adopté ses mesures; chaque état , chaque pro- vince a les siennes ; l'intérêt et la mauvaise foi dans la société ont les multiplier ; la valeur plus ou moins grande des choses les a rendues plus ou moins exac- tes , et une partie de la science du commerce est née de ces obscurités.

Chez les peuples les plus dénués d'arts, et moins éclairés pour leurs intérêts que nous ne le sommes, la multiplication des mesures n'auroit peut-être pas eu d'aussi mauvais effets. Dans les pays stériles, les terrains ne rapportent que peu, on voit rarement des procès pour des défauts de contenance, et plus rarement encore des lieues courtes et des chemins trop étroits : mais plus un terrain est précieux, plus une denrée est chère, plus aussi les mesures sont épluchées et contestées , plus on met d'art et de com- binaison dans les abus qu'on en fait; la fraude est allée jusqu'à imaginer plusieurs mesures difficiles à comparer; elle a su se couvrir en mettant en avant

ESSAI d'arithmétique MORALE. 85

ces embarras de convention. Enfin il a fallu les lu- mières de plusieurs arts, qui supposent de Tintelii- gence et de 1 étude, et qui, sans les entraves de la comparaison des différentes mesures, n'auroient de- mandé qu'un coup d'œil et un peu de mémoire : je veux parler du toisé et de l'arpentage, de l'art de l'essayeur, de celui du changeur, et de quelques au- tres dont le but unique est de découvrir la vérité des mesures.

Rien ne seroit plus utile que de rapporter à quel- ques unités invariables toutes ces unités arbitraires : mais il faut pour cela que ces unités de mesures soient quelque chose de constant et de commun à tous les peuples ; et ce ne peut être que dans la nature même qu'on peut trouver cette convenance générale. La longueur du pendule qui bat les secondes sous l'é- quateur a toutes les conditions nécessaires pour être l'étalon universel des mesures géométriques ; et ce projet pourroit nous procurer dans l'exécution des avantages dont il est aisé de sentir toute l'étendue.

Cette mesure, une fois reçue, fixe d'une manière invariable pour le présent, et détermine à jamais pour l'avenir, la longueur de toutes les autres mesu- res : pour peu qu'on se familiarise avec elle l'incer- titude et les embarras du commerce ne peuvent manquer de disparoître ; on pourra l'appliquer aux surfaces et aux solides de la même façon qu'on y ap- plique les mesures en usage ; elle a toutes leurs com- modités, et n'a aucun de leurs défauts; rien ne peut l'altérer, que des changements qu'il seroit ridicule de prévoir : une diminution ou une augmentation dans la vitesse de la terre autour de son axe, une va-

uiuroN. xm. G

S6 DE l'homme.

rialion dans la figure du globe, son attraction diiiiî- niiée par l'approche d'une comète, sont des causes trop éloignées pour qu'on doive en rien craindre , et sont cependant les seules qui pourroient altérer cette unité de la mesure universelle.

La mesure des liquides n'embarrassera pas plus que celle des surfaces et des solides : la longueur du pen- dule sera la jauge universelle , et l'on viendra par ce moyen aisément à bout d'épurer cette partie du com- merce si sujette à la friponnerie par la difficulté de connoître exactement les mesures; difficultés qui en a produit d'autres, et qui a fait mal à propos imagi- ner pour cet usage les mesures mécaniques, et sub- stituer les poids aux mesures géométriques pour les liquides; ce qui, outre l'incertitude de la vérité des balances et de la fidélité des poids, a fait naître l'embarras de la tare et la nécessité des déductions. Nous préférons, avec raison, la longueur du pendule sous l'équateur à la longueur du pendule en France ou dans un autre climat : on prévient par ce choix la jalousie des nations, et on met la postérité plus en état de retrouver aisément cette mesure. La mi- nute-seconde est une partie du temps dont on re- oonnoîtra toujours la durée, puisqu'elle est une partie déterminée du temps qu'emploie la terre à faire sa révolution sur son axe, c'est-à-dire la quatre-vingt- six mille quatre centième partie juste. Ainsi cet élé- ment qui entre dans notre unité de mesures ne peut y faire aucun tort.

XXXL Nous avons dit ci-devant qu'il y a des véri- tés de différents genres, des certitudes de dilYérents ordres, des probabilités de diiiérents degrés. Les

ESSAI d'aKJTIIMÉ TIQUE MORALE. 8^

vérités qui sont purement intellectuelles, comme celles de la géométrie, se réduisent toufees à des vé- rités de définition ; il ne s'agit pour réduire le pro- blème le plus difficile que de le bien entendre ; et il n'y a dans le calcul et dans les autres sciences pure- ment spéculatives d'autres difficultés que celles de démêler ce que l'esprit humain y a confondu. Pre^ nous pour exemple la quadrature du cercle, cette question si fameuse, et qu'on a regardée long-temps comme le plus difficile de tous les problèmes; et examinons un peu ce qu'on nous demande , lorsqu'on nous propose de trouver au juste la mesure d'un cer- cle. Qu'est-ce qu'un cercle en géométrie? ce n'est point cette figure que vous venez de tracer avec un compas , dont le contour n'est qu'un assemblage de petites lignes droites, lesquelles ne sont pas toutes également et rigoureusement éloignées du centre, mais qui formant différents petits angles, ont une largeur visible, des inégalités, et une infinité d'au- tres propriétés physiques inséparables de l'action des instruments et du mouvement de la main qui les guide. Au contraire le cercle en géométrie est une figure plane, comprise par une seule ligne courbe, appelée circonférence; de tous les points de laquelle circonférence toutes les lignes droites menées à un seul point, qu'on appelle centre _, sont égales entre elles. Toute la difficulté du problème de la quadra-- ture du cercle consiste à bien entendre tous les ter- mes de cette définition; car, quoiqu'elle paroisse très claire et très intelligible, elle renferme cepen- dant un grand nombres d'idées et de suppositions desquelles dépend toute la solution de Joules les

SS DE l'homme.

questions qu'on peut faire sur le cercle. Et , pour prouver que toute la difficulté ne vient que de celte définition , supposons pour un instant qu'au lieu de prendre la circonférence du cercle pour une courho dont tous les points sont, à la rigueur, également éloignés du centre, nous prenions cette circonférence pour un assemblage de lignes droites aussi petites que vous voudrez ; alors cette grande difficulté de mesurer un cercle s'évanouit, et il devient aussi facile à mesurer qu'un triangle. Mais ce n'est pas ce qu'on demande; il faut trouver la mesure du cercle dans l'esprit de la définition. Considérons donc tous les termes de cette définition, et pour cela souve- nons-nous que les géomètres appellent un point ce qui n'a aucune partie : première supposition qui in- fluebeaucoup sur toutes les questions mathématiques, et qui , étant combinée avec d'autres suppositions aussi peu fondées, ou plutôt de pures abstractions, ne peut manquer de produire des difficultés insur- montables à tous ceux qui s'éloigneront de l'esprit de ces premières définitions, ou qui ne sauront pas re- monter de la question qu'on leur propose à ces pre- mières suppositions d'abstraction ; en un mot , à tous ceux qui n'auront appris de la géométrie que l'usage des signes et des symboles, lesquels sont la langue et non pas l'esprit de la science.

Mais suivons. Le point est donc ce qui n'a aucune partie; la ligne est une longueur sans largeur; la li- gne droite est celle dont tous les points sont posés également; la ligne courbe, celle dont tous les poinis sont posés illégalement ; la su[)erncie plane est uii<» quantité qui a de la longueur el de la largeur sans

ESSAI d'aTIITHMÉTIQUE MORALE. 89

profondeur; les extrernilés d'une ligne sont des points , les extrémités des superficies sont des lignes. Voilà les définitions ou plutôt les suppositions sur lesquelles roule toute la géométrie , et qu'il ne faut jamais perdre de vue en tâchant, dans chaque ques- tion, de les appliquer dans le sens même qui leur convient, mais en même temps en ne leur donnant réellement que leur vraie valeur, c'est-à-dire, en les prenant pour des abstractions et non pour des réalités.

Cela posé , je dis qu'en entendant bien la défini- nition que les géomètres donnent du cercle on doit être en état de résoudre toutes les questions qui ont rapport au cercle, et, entre autres , la question de la possibilité ou de l'impossibilité de sa quadrature, en supposant qu'on sache mesurer un carré ou un trian- gle; or, pour mesurer un carré , on multiplie la lon- gueur d'un des côtés par la longueur de l'autre côté, et le produit est une longueur qui, par un rapport sous-entendu de l'unité linéaire à l'unité de surface, représente la superficie du carré. De même , pour mesurer un triangle , on multiplie sa hauteur par sa base, et on prend la moitié du produit. Ainsi pour mesurer un cercle il faut de même multiplier la cir- conférence par son demi-diamètre et en prendre la moitié. Voyons donc à quoi est égale cette circonfé- rence.

La première chose qui se présente en réfléchissant sur la définition de la ligne courbe , c'est qu'elle ne peut jamais être mesurée par une ligne droite, puis- que dans toute son étendue et dans tous les points elle est ligne courbe , et par conséquent d'un autre genre que la ligne droite; en sorte que, par la seule

go DE L HOMxME.

dérinîliondeIalio;nebien entendue, on voit clairement que la ligne droite ne peut pas plus mesurer la ligne courbe que celle-ci ne peut mesurer la ligne droite ; or la quadrature du cercle dépend, comme nous ve- nons de le faire voir, de la mesure exacte de la cir- conférence par quelque partie du diamètre prise pour Tunité; mesure impossible, puisque le diamètre est une droite , et la circonférence une courbe : donc la quadrature du cercle est impossible.

XXXII. Pourmieuxfairesentir la vérité de ce que je viens d'avancer, et pour prouver d'une manière entiè-^ rement convaincante que les difficultés des questions de géométrie ne viennent que des définitions , et que ces difficultés ne sont pas réelles, mais dépendent absohiment des suppositions qu'on a faites, chan-^ geons pour un moment quelques définitions de la géométrie , et faisons d'autres suppositions ; appelons la circonférence d'un cercle une ligne dont tous les points sont également posés, et la ligne droite une ligne dont tous les points sont inégalement posés; alors nous mesurons exactement la circonférence du cercle, sans pouvoir mesurer la ligne droite : or je vais faire voir qu'il m'est loisible de donner à la ligne droite et à cette ligne courbe ces définitions; car la ligne droite, suivant sa définition ordinaire , est celle dont tous les points sont également posés ; et la li- gne courbe, celle dont tous les points sont inégale- ment posés : cela ne peut s'entendre qu'en imaginant que c'est par rapport à une autre ligne droite que cette position est égale ou inégale; et de même que les géomètres, en vertu de leurs définitions, rappor- tent to^ut à une ligne droite, je puis rapporter tout à

ESSAI n'ARITHMlÏTIQUE MORALE. Ql

un point en verlu de mes définitions; et au lieu de prendre une ligne droite pour l'unité de mesure, je prendrai une ligne circulaire pour cetle unité, et je me trouverai par en état de mesurer juste la cir- conférence du cercle; mais je ne pourrai plus mesu- rer le diamètre; et, comme pour trouver la mesure exacte de la superficie du cercle dans le sens des géomètres il faut nécessairement avoir la mesure juste de la circonférence et du diamètre, je vois clairement que, dans cette supposition comme dans l'autre, la îiiesure exacte de la surface du cercle n'est pas pos- sible.

C'est donc à cette rigueur des définitions de la géo- métrie qu'on doit attribuer la difficulté des questions de cette science; et aussi nous avons vu que, dès qu'on s'est départi de cette trop grande rigueur, on est venu à bout de tout mesurer, et de résoudre tou- tes les questions qui paroissent insolubles; car dès qu'on a cessé de regarder les courbes comme courbes (Ml toute rigueur, et qu'on les a réduites à n'être que ce qu'elles sont en effel dans la nature, des poly- «'ones dont les côtés sont indéfiniment petits, toutes les difficultés ont disparu. On a rectifié les courbes, (3 est-à-dire mesuré leur longueur, en les supposant enveloppées d'un fil inextensible et parfaitement ilexible qu'on développpe succcessivement (voyez Fluxions de Newton^ page i5i, etc.), et on a me- suré les surfaces par les mêmes suppositions , c'est-à- dire en cbangeant les courbes en polygones dont les côtés sont indéfiniment petits.

XXXIII. Une autre difficulté qui tient de près à celle de la quadralure du cercle, et de laquelle on

92 DE L HOMME.

peut même dire que celle quadrature dépend , c'est l'incommensurabilité de la diagonale du carré avec le côté; difficulté invincible et générale pour toutes les grandeurs que les géomètres appellent incommen- surables. Il est aisé de faire sentir que toutes ces dif- ficultés ne viennent que des définitions et des conven- tions arbitraires qu'on a faites en posant les principes de l'arithmétique et de la géométrie ; car nous sup- posons en géométrie que les lignes croissent comme les nombres, i , 2, 3, ^^c. , c'est-à-dire sui- vant notre échelle d'arithmétique; et, par une cor- respondance sous-entendue de l'unité de surface avec l'unité linéaiie, nous voyons que les surfaces des car- rés croissent comme 1 , 4? 16, 25, etc. Par ces suppositions il est clair que, de la même façon que la suite 1 , 2 , 5 , 4 > 5 , etc. , est l'échelle des lignes , la suite 1, 4> 16, 26, etc., est aussi l'échelle des surfaces, et que si vous interposez dans cette der- nière échelle d'autres nombres comme 2,5, 5,6,7, 8, 10, 11, 12, i5, 14? i5, 17, 18, 19, 20, 22, 23, 24 , tous ces nombres n'auront pas leurs corres- pondants dans l'échelle des lignes, et que par con- séquent la ligne qui correspond à la surface 2 est une ligne qui n'a point d'expression en nombres, et qui par conséquent ne peut pas être mesurée par l'unité numérique. Il seroit inutile de prendre une partie de i'unilé pour mesure , cela ne change point l'im- possibilité de l'expression en nombres; car si Ton prend pour l'échelle des lignes ^2^ * V2> ^ V? ? 3 ^2» 4, etc., on aura pour l'échelle correspondante des surfaces V4» » Va . 4^V4. 9 ^V/i » »^' ^^^- ^ ou plutôt on aura pour l'échelle des lignes ^/g, V2> V2'» V2' V2»

ESSAI d'arithmétique MORALE. 93

V2? ^2' %> ^^^' ' ^^ P^^^ ^^^'^ ^^^ surfaces Va? ^4» 74. *V4, '%. 'Va' '"/a. 'Va, ^ etc. , ce qui retombe dans le même cas que les échelles, 1, 2, 3, 5 , etc. ,et 1, 4^9, *^j ^5» *^*C' ? ^^ lignes et de surfaces dont l'unité est entière ; et il en sera toujours de même quelque partie de l'unité que vous preniez pour mesure comme V49 ^^ Vs' ^" V7» ^tc. : les nombres incommensurables dans l'échelle ordinaire le seront toujours, parce que le défaut de correspon- dance de ces échelles subsistera toujours. Toute la difficulté des incommensurables ne vient donc que de ce qu'on a voulu mesurer les surfaces comme les li- gnes : or il est clair qu'une ligne étant supposée l'u- nité vous ferez avec deux de ces unités une ligne dont la longueur sera double ; mais il n'est pas moins clair qu'avec deux carrés, dont chacun est pris de même pour l'unité, vous ne pouvez pas faire un carré. Tout cela vient de ce que la matière ayant trois différents aspects sous lesquels nous la considé- rons, il auroit fallu trois échelles différentes d'arith- métique, l'une pour la ligne qui n'a que de la lon- gueur, l'autre pour la superficie qui a de la longueur et de la largeur , et la troisième pour le solide qui a de la longueur, de la largeur, et de la profondeur.

XXXIV. Nous venons de démontrer les difficultés que les abstractions produisent dans les sciences; il nous reste à faire voir l'utilité qu'on en peut tirer, et à examiner l'origine et la nature de ces abstractions sur lesquelles portent presque toutes nos idées scien- tifiques.

Comme nous avons des relations différentes avec les différents objets qui sont hors de nous, chacune

94 Ï>E l'iI0M3IE.

de ces relations produit un genre de sensations et d'idées différentes : lorsque nous voulons connoître la distance nous sommes d'un objet, nous n'avons d'autre idée que celle de la longueur du chemin à p.'ircourir ; et quoique cette idée soit une abstraction elle nous paroît réelle et complète, parce qu'en effet il ne s'agit, pour déterminer cette distance, que de connoître la longueur de ce chemin : mais si l'on y fait attention de plus près, on reconnoîtra que celte idée de longueur ne nous paroît réelle et complète que parce qu'on est sûr que la largeur ne nous manquera pas non plus que la profondeur. Il en est de même lorsque nous voulons juger de l'étendue superficielle d'un terrain; nous n'avons égard qu'à la longueur et à la largeur sans songer à la profondeur; et lorsque nous voulons juger de la quantité solide d'un corps , nous avons égard aux trois dimensions. Il eût été fort embarrassant d'avoir trois mesures différentes; il auroit fallu mesurer la ligne par une longueur, la su- perficie par une autre superficie prise pour l'unité , et le solide par un autre solide. La géométrie , en se servant des abstractions et des correspondances d'u- nités et d'échelles, nous apprend à tout mesurer avec la ligne seule ; et c'est dans cette vue qu'on a consi- déré la matière sous trois dimensions, longueur, lar- geur, et profondeur, qui toutes trois ne sont que des lignes dont les dénominations sont arbitraires; car si on s'étoit servi des surfaces pour tout mesurer, ce qui étoit possible, quoique moins commode que le lignes, alors, au lieu de dire longueur, largeur, et profondeur, on eût dit le dessus, le dessous, et les côtés; et ce langage eùl été moins al>slrail; nuiis

ESSAI d'arithmétique MORALE. 93

îes mesures eussent été moins simples et la géométrie plus difficile à traiter.

Quand on a vu que les abstractions bien entendues rendoient faciles des opérations à la connoissance et à la perfection desquelles les idées complètes n'au- roient pas pu nous faire parvenir aussi aisément, on a suivi ces abstractions aussi loin qu'il a été possible; l'esprit humain les a combinées, calculées, transfor- mées de tant de façons qu'elles ont formé une science d'une vaste étendue, mais de laquelle ni l'évidence qui la caractérise partout ni les difficultés qu'on y rencontre souvent ne doivent nous étonner, parce que nous y avons mis les unes et les autres, et que toutes les fois que nous n'aurons pas abusé des défi- nitions ou des suppositions nous n'aurons que de l'é- vidence sans difficultés; et toutes les fois qtie nous en aurons abusé nous n'aurons que des difficultés sans aucune évidence. Au reste, l'abus consiste autant à proposer une mauvaise question qu'à mal résoudre un bon problème; et celui qui propose une question comme celle de la quadrature du cercle abuse plus de la géométrie que celui qui entreprend de le résoudre; car il a le désavantage de mettre l'esprit des autres à une épreuve que le sien n'a pu supporter, puisqu'en proposant celte question il n'a pas vu que c'étoit de- mander une chose impossible.

Jusqu'ici nous n'avons parlé que d^ cette espèce d'abstraction qui est prise du sujet même, c'est-à-dire d'une seule propriété de la matière, c'est-à-dire de son extension ; l'idée de la surface n'est qu'un re- tranchement à l'idée complète du solide, c'est-à-dire une idée privative, une abstraction; celle de la li-

96 DE L*HOMMr..

gne est une abstraction trabstractîon , et le point est l'abstraction totale : or toutes ces idées privati- ves ont rapport au même sujet et dépendent de la même qualité ou propriété de la matière, je veux dire de son étendue; mais elles tirent leur origine d'une autre espèce d'abstraction, par laquelle on ne retranche rien du sujet, et qui ne vient que de la différence des propriétés que nous apercevons dans la matière. Le mouvenjent est une propriété de la ma- tière très différente de l'étendue; cette propriété ne renferme que l'idée de la distance parcourue, et c'est cette idée de distance qui a fait naître celle de la longueur ou de la ligne. L'expression de cette idée du mouvement entre donc naturellement dans les considérations géométriques; et il y a de l'avantage à employer ces abstractions naturelles, et qui dépen- dent des différentes propriétés de la matière, plutôt que les abstractions purement intellectuelles; car tout en devient plus clair et plus complet.

XXXV. On seroit porté à croire que la pesanteur est une des propriétés de la matière susceptible de mesure ; on a vu de tout temps des corps plus ou moins pesants que d'autres : il étoit donc assez natu- rel d'imaginer que la matière avoit, sous des formes différentes, des degrés différents de pesanteur, et ce n'est que depuis l'invention de la machine du vide et les expériences des pendules qu'on est assuré que la matière est toute également pesante. On a vu , et peut- être l'a-t-on vu avec surprise , les corps les plus légers tomber aussi vite que les plus pesants dans le vide ; et on a démontré au moyen des pendules que le poids des corps est proportionnel à la quantité de matière

ESSAI d'aIUTHMÉTIQUE MOKALE. Ç)'J

qu'ils contiennent ; la pesanteur de la matière ne paroît donc pas être une qualité relative qui puisse augmen- ter et diminuer, en un mot, qui puisse se mesurer.

Cependant , en y faisant attention de plus près en- core, on voit que cette pesanteur est l'effet d'une force répandue dans l'univers, qui agit plus ou moins à une distance plus ou moins grande de la surface de la terre ; elle réside dans la masse même du globe , et toutes ses parties ont une portion de cette force active qui est toujours proportionnelle à la quantité de matière qu'elles contiennent : mais elle s'exerce dans l'éloigne- meut avec moins d'énergie , et dans le point de contact elle agit avec une puissance infinie : donc celte qua- lité de la matière paroît augmenter ou diminuer par ses effets; par conséquent elle devient un objet de mesu- ries, mais de mesures philosophiques que le commun des hommes , dont le corps et l'esprit sont bornés à leur habitation terrestre, ne considérera pas commt^ utiles, parce qu'il ne pourra jamais en faire un usage immédiat. S'il nous étoit permis de nous transporter vers la lune ou vers quelque autre planète, ces mesu- res seroient bientôt en pratique ; car en effet nous au- rions besoin pour ces voyages d'une mesure de pe- santeur qui nous serviroit de mesure itinéraire : mais, confinés comme nous le sommes, on peut se conten- ter de se souvenir que la vitesse inégale de la chute des corps dans différents climats de la terre , et les spéculations de Newton, nous ont appris que, si nous en avons jamais besoin, nous pourrons mesurer cette propriété de la matière avec autant de précision que toutes les autres.

Mais autant les mesures de la pesanteur de la ma-

Ç)S DE l'homme.

tière en générai nous paroissent indifférentes, autant les mesures du poids de ses formes doivent nous pa- roi tre utiles : chaque forme de la matière a son poids spécifique qui Ja caractérise; c'est le poids de cette matière en particulier ou plutôt c'est le produit de la force de la gravité par la densité de cette matière. Le poids absolu d'un corps est par conséquent le poids spécifique de la matière de ce corps multiplié par la masse ; et comme dans les corps d'une matière homogène la masse est proportionnelle au volume, on peut dans l'usage prendre l'un pour l'autre, et de la connoissance du poids spécifique d'une matière tirer celle du poids absolu d'un corps composé de cette matière, savoir, en multipliant le poids spéci- fique par le volume , et vice versa ^ de la connoissance du poids absolu d'un corps tirer celle du poids spé- cifique de la matière dont ce corps est composé, en divisant le poids par le volume. C'est sur ces prin- cipes qu'est fondée la théorie de la balance hydro- statique et celle des opérations qui en dépendent. Disons un mot sur ce sujet très important pour les physiciens.

Tous les corps seroient également denses si, sous un volume égal, ils contenoient le même nombre de parties, et par conséquent la différence de leur poids ne vient que de celle de leur densité : en compri- mant l'air et le réduisant dans un espace neuf cents fois plus petit que celui qu'il occupe, on augmente- roit en meiue raison sa densité , et cet air comprimé se Irouveroit aussi pesant que l'eau. Il en est de même des poudres, etc. La densité d'une matière est donc toujours réciproquement p#oporlionnelle à l'es-

ESSAI d'au [TllMÉTIQUE MO 11 A LE. 99

pace que cette matière occupe : ainsi l'on peut très bien juger de la densité par le volume; car plus le volume d'un corps sera grand par rapport au volume d'un autre corps, le poids étant suppose le môme, plus la densité du premier sera petite £t en même rai- son; de sorte que si une livre d'eau occupe dix-neuf fois plus d'espace qu'une livre d'or, on peut en con- clure que l'or est dix-neuf fois plus dense, et par conséquent dix-neuf fois plus pesant que l'eau. C'est cette pesanteur que nous avons appelé spécifique ^ et qu'il est si important de connoître , surtout dans les matières précieuses, comme les métaux, afizi de s'as- surer de leur pureté et de pouvoir découvrir les fraudes et les mélanges qui peuvent les falsifier. La mesure du volume est la seule qu'on puisse employer pour cet efi'et : celle de la densité ne tombe pas as&ez sous nos sens ; car cette mesure de la densité dépend de la position des parties intérieures et de la somme des vides qu'elles laissent entre elles. Nos yeux ne sont pas assez perçants pour démêler et comparer ces diflérents rapports de formes : ainsi nous sommes obligés de mesurer cette densité parle résultat qu'elle produit, c'est-à-dire par le volume apparent.

La première manière qui se présente pour mesurer le volume des corps est la géométrie des solides; un volume ne diffère d'un autre que par son extension plus ou moins grande, et dès lors il semble que le poids des corps devient un objet des mesures géomé- triques ; mais l'expérience a fait voir combien la pra- tique de la géométrie étoit fautive à cet égard. En effet, il s'agit de reconnoître dans des corps de figure très irrégulière, et souvent dans de très petits corps.

100 DE L HOMME.

des différences encore plus petites, et cependant con- sidérables par la valeur de la matière : il n'étoit donc pas possible d'appliquer aisément ici les mesures de longueur, qui d'ailleurs auroient demandé de grands calculs , quand même on auroit trouvé le moyen d'en faire usage. On a donc imaginé un autre moyen aussi sûr qu'il est aisé , c'est de plonger le volume à mesu- rer dans une liqueur contenue dans un vase régulier et dont la capacité est connue et divisée par plusieurs lignes; l'augmentation du volume de la liqueur se re- connoîtpar ces divisions, et elle est égale au volume du solide qui est plongé dedans : mais cette façon a encore ses inconvénients dans la pratique. On ne peut guère donner au vase la perfection de figure qui se- roit nécessaire; on ne peut ôter aux divisions les in- égalités qui échappent aux yeux , de sorte qu'on a eu recours à quelque chose de plus simple et de plus certain, on s'esl servi de la balance; et je n'ai plus qu'un mot à dire sur cette façon de mesurer les solides.

On vient de voir que les corps irréguliers et fort petits se refusent aux mesures de la géométrie ; quel- que exactitude qu'on leur suppose, elles ne nous donnent jamais que des résultats très imparfaits : aussi la pratique de la géométrie des solides a été obligée de se borner à la mesure des grands corps et des corps réguliers, dont le nombre est bien petit en comparaison de celui des autres corps. On a donc cherché à mesurer ces corps par une autre propriété de la matière, par leur pesanteur dans les solides de même matière: cette pesanteur est proportionnelle à l'étendue, c'est-à-dire le poids est en même rapport

ESSAI D ARITHMIÎTIQIJE MORALE. 101

que le volume ; on a substitué avec raison la balance aux mesures de longueur, et par on s'est trouvé en état de mesurer exactement tous les petits corps, de quelque figure qu'ils soient, parce que la pesanteur n'a aucun égard à la figure, et qu'un corps rond ou carré, ou de telle autre figure qu'on voudra, pèse toujours également. Je ne prétends pas dire ici que la balance n'a été imaginée que pour suppléer au dé- faut des mesures géométriques; il est visible qu'elle a son usage sans cela : mais j'ai voulu faire sentir com- bien elle étoit utile à cet égard môme, qui n'est qu'une partie des avantages qu'elle nous procure.

On a de tout temps senti la nécessité de connoître exactement le poids des corps : j'imaginerois volon- tiers que les hommes ont d'abord mesuré ces poids par les forces de leur corps; on a levé, porté, tiré des fardeaux, et l'on a jugé du poids par les résis- tances qu'on a trouvées. Cette mesure ne pouvoit être que très imparfaite; et d'ailîeurs, n'étant pas du même genre que le poids , elle ne pouvoit s'appliquer à tous les cas : on a donc ensuite cherché à mesurer les poids par des poids ; et de l'origine des balances de toutes façons , qui cependant peuvent à la rigueur se réduire à quatre espèces : la première qui, pour peser différentes masses, demande différents poids et qui se rapporte par conséquent à toutes les balances communes à fléau soutenu et appuyé , à bras égaux ou inégaux, etc.; la seconde qui, pour différentes masses n'emploie qu'un seul poids , mais des bras de lon- gueur différente, comme toutes les espèces de statè- res ou balances romaines : la troisième espèce, qu'on appelle peson ou balance à ressort^ n'a pas besoin de

BUFFO>'. XTÎI. 7

102 DEL HOMME.

poids, et donne la pesanteur des masses par un index numéroté ; enfin la quatrième espèce est celle Ton emploie un seul poids attaché à un fil ou à une chaîne qu'on suppose parfaitement flexible, et dont les diffé- rents angles indiquent les différentes pesanteur des masses. Cette dernière sorte de balance ne peut être d'un usage commun, par la difficulté du calcul et même par celle de la mesure des angles ; mais la troi- sième sorte, dans laquelle il ne faut point de poids, est la plus commode de toutes pour peser de grosses masses. Le sieur Hanain , habile artiste en ce genre, m'en a fait une avec laquelle on peut peser trois mil- liers à la fois, et aussi juste que Ton pèse cinq cents livres avec une autre balance.

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La connoissance des probabilités de la durée de ia vie est utie des choses les plus intéressantes dans l'histoire naturelle de Thomme; on peut la tirer des tables de mortalité que j'ai publiées*. Plusieurs per- sonnes m'ont paru désirer d'en voir les résultats en détail, et les applications pour tous les âges, et je me suis déterminé à les donner ici par supplément, d'autant plus volontiers que je me suis aperçu qu'on se tiompoit souvent en raisonnant sur cette matière, et qu'on tiroit même de fausses inductions des rap- ports que présentent ces tables.

J'ai fait observer que, dans ces tables, les nombres qui correspondent à 5, lO, i5, 20, 26, etc., années d'âge, sont beaucoup plus grands qu'ils ne doivent l'être, parce que les curés, surtout ceux de la campa- gne, ne mettent pas sur leurs registres l'âge au juste, mais à peu près : la plupart des paysans ne sachant pas leur âge à une ou deux années près, on écrit 60 ans s'ils sont morts à 59 ou 61 ans; on écrit 70 ans s'ils sont morts à 69 ou 71 ans, et ainsi des autres. 11 faut donc, pour faire des applications exactes, com-

1. Voyez dans 1c volume précédent, pages f\o et suivanfes.

io4 DE l'homme.

mencer par corriger ces termes au moyen de la suite

graduelle que présentent les nombres pour les autres

âges.

Il n'y a point de correction à faire jusqu'au nombre i54y qui correspond à la neuvième année, parce qu'on ne se trompe guère d'un an sur l'âge d'un en- fant de 1, 2, 3, 4? ^5 6, 7 ou 8 ans, mais le nombre 1 i4, qui correspond à la dixième année, est trop fort, aussi bien que le nombre lOO, qui correspond à la douzième, tandis que le nombre 8i, qui corres- pond à la onzième, est trop foible. Le seul moyen de rectifier ces défauts et ces excès , et d'approcher de lavérilé, c'est de prendre les nombres cinq à cinq, et de les partager de manière qu'ils augmentent pro- portionnellement à mesure que les sommes vont en augmentant, et au contraire de les partager de ma- nière qu'ils aillent en diminuant si leurs sommes vont en diminuant : par exemple, j'ajoute ensemble les cinq nombres ii4, 8i, iio, 75 et 73, qui corres- pondent dans la table à la io% 11% 12*^ i5^ et 14*" année, leur somme est 44*5 j^ partage cette somme en cinq parties égales, ce qui me donne SS Vô- J'a- joute de même les cinq nombres suivants 90, 97, io4j ii5et io5, leur somme est 5ii, et je vois par que ces sommes vont en augmentant ; dès lors je partage la somme de 44 1 ^^^ cinq nombres précé- dents, en sorte qu'ils aillent en augmentant, et j'écris 87, 87, 88, 89 et 90, au lieu de 1 i/j, 81, 100, 73 et 73. De même, avant de partager la somme 5i 1 des cinq nombres 90, 97, io/|, 1 i5 et îo5, qui correspondent à la i5% 16% 17% 18'' et 19^ année, j'ajoute ensemble les cinq nombres suivants, pour voir si leur somme

DES PROBABILITÉS DE LA DUllÉE DE LA VIE. 1 o5

est plus OU moins forte que 5ii : et, comme je !a trouve plus forte, je partage 5i i comme j'ai partagé 44 1 <în cinq parties qui aillent en augmentant ; et si au contraire cette somme des cinq nombres suivants étoit plus petite que celle des cinq nombres précé- dents (comme cela se trouve dans la suite) , je par- lagerois cette somme de manière que les nombres aillent en diminuant. De<3elte façon, nous approche- rons de la vérité autant qu'il est possible, d'autant que je ne me suis déterminé à commencer mes cor- rections au terme 1 14, qu'après avoir tâtonné toutes les autres suites que donnoient les sommes des nom- bres pris cinq à cinq et même dix à dix, et que c'est à ce terme que je me suis fixé, parce que leur marche s'est trouvée avoir le plus d'uniformité.

Voici donc cette table corrigée de manière à pou- voir en tirer exactement tous les rapports des proba- bilités de la vie.

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112 DE L HOMME.

TABLE

DES PROBABILITÉS DE LA VIE.

Pour un enfant qui vient de naître.

On peut parier 17640 contre 6454, ou, pour abréger, 2 y^ environ contre i, qu'un enfant qui vient de naître vivra un an.

Et en supposant la mort également répartie dans tout le courant de l'année :

17540 contre ^^-, ou 5 '/jg contre i, qu'il vivra six mois. 17540 contre ^-^^ , ou près de 1 1 contre 1 , qu'il vivra trois mois ; et 17540 contre ^^5-, ou environ io3o contre 1 , qu'il ne mourra pas dans les vingt-quatre heures.

De même on peut parier i5 162 contre 8832 , ou 1 y^ environ contre 1 , qu'un enfant qui vient de naître vivra 2 ans. 14177 contre 9817, ou 1 Yg contre 1, qu'il vivra 3 ans. i3477 contre 10617, ou 1 Yj contre 1, qu'il vivra 4 ans. 12968 contre 11026, ou Y^j contre 1, qu'il vivra 5 ans. 12662 contre 1 1432, ou 1 y^^ contre 1, qu'il vivra 6 ans. 12266 contre 11739, ou 1 Y23 environ contre 1, qu'il vivra 7 ans. 12016 contre 11979, ou 1 Yggg contre 1, qu'il vivra 8 ans. I2i33 contre 11861, ou i Y43 contre 1, qu'il ne vivra pas 9 ans. 12245 contre 11749, ou 1 Y24 contre 1, qu'il ne vivra pas 10 ans. 12546 contre 11649, ou 1 Yj, contre 1, qu'il ne vivra pas 11 ans. 12458 contre ii566, ou 1 Y^j contre 1, qu'il ne vivra pas 12 ans. 12626 contre 11468, ou 1 ^/^^ contre 1, qu'il ne vivra pas i3 ans. 12610 contre ii384> ou 1 Yg contre 1, qu'il ne vivra pas i4 ans. 12696 contre 11299, ou i Yg contre 1, qu'il ne vivra pas 16 ans. 12786 contre 1 1209, ou i Y, contre 1, qu'il ne vivra pas 16 ans. 12880 contre 1 1 1 14, ou 1 Yg contre 1, qu'il ne vivra pas 17 ans.

TABLE DES PROBABILITÉS DE LA VIE. Il5

12980 contre 11014, ou 1 y^^ contre 1, qu'il ne vivra pas 18 ans. iSoSy contre 10907, ou 1 y^ contre i, qu'il ne vivra pas 19 ans. i32o3 contre 10791, ou 1 Yg contre 1, qu'il ne vivra pas 20 ans. 10327 contre 10667, ou 1 y^ contre 1, qu'il ne vivra par 21 ans. 13460 contre io534 , ou 1 y, contre 1 qu'il ne vivra pas 22 ans. 15596 contre 10598, ou 1 y^j contre 1, qu'il ne vivra pas 23 ans. 15736 contre 10268 , ou 1 y^ contre 1, quïi ne vivra pas 24 ans. 13877 contre 10117, ^u 1 y^ contre 1, qu'il ne vivra pas 26 ans. 14109 contre 9978 , ou i Yg contre 1, qu'il ne vivra pas 26 ans. 14162 contre 9832 , ou 1 yg contre 1, qu'il ne vivra pas 27 ans. i43o6 contre 9688 , ou 1 ^/^ à très peu près contre i, c'est-à-dire 3

contre 2 , qu'il ne vivra pas 28 ans. 1443 1 contre 9-543 ou 1 ^y^g contre 1, qu'il ne vivra pas 29 ans. 14599 contre 9576 ou 1 ^y^, contre i, qu'il ne vivra pas 3o ans. 14760 contre 9244» ou i ^/^ contre 1, qu'il ne vivra pas 3i ans. 14903 contre 9091, ou 1 ^/^ contre 1, qu'il ne vivra pas 52 ans. i5o57 contre 8937, ou 1 ^y^j contre 1, qu'il ne vivra pas 33 ans. i52i5 contre 8779 , ou 1 y^ contre 1, qu'il ne vivra pas 34 ans. 15376 contre 8619, ou ^ygg contre 1, qu'il ne vivra pas 35 ans- i554o contre 8454 , ou 1 y^ contre 1, qu'il ne vivra pas 56 ans. 16710 contre 8284, ou 1 ^y^j contre 1, qu'il ne vivra pas 37 ans. 16886 contre 8109, ou 1 'ygj contre 1, qu'il ne vivra pas 58 ans. 16066 contre 7928, ou 2 y^g contre i, qu'il ne vivra pas 59 ans. 16265 contre 7741, ou 2 y^j contre 1, qu'il ne vivra pas 4o ans. 16459 contre 7665 , ou 2 ^y^^ contre 1, qu'il ne vivra pas t\\ ans. 16624 contre 7570 , ou 2 ^y^j contre 1, qu'il ne vivra pas 42 ans. 16808 contre 7186, ou 2 ^y^j contre 1, qu'il ne vivra pas 43 ans. 16987 contre 7007, ou 2 ^y^Q contre 1, qu'il ne vivra pas 44 ^w** 17169 contre 6835, ou 2 ^/^ contre 1, c'est-à-dire 5 contre 2 , qu'il

ne vivra pas 45 ans. 17326 contre 6669 , ou 2 '^^f^^ contre 1, qu'il ne vivra pas 46 ans. 17478 contre 6616 , ou 2 ''Yg^ contre 1, qu'il ne vivra par 47 ans. 17657 contre 6367, ou 2 y^g contre 1, qu'il ne vivra pas 48 ans. 17798 contre 6196 , on 2 ^y^j contre i, qu'il ne vivra pas 49 ans. 17960 contre 6834 , ou 2 ^Yjq contre 1, qu'il ne vivra pas 5o ans. 18125 contre 6871, ou 5 y^g contre 1, qu'il ne vivra pas5i ans. 18287 contre 6707, ou 5 ^yg^ contre 1, qu'il ne vivra pas 62 ans. 18462 contre 6642 , ou 5 ^y^^ contre 1, qu'il ne vivra pas 53 ans. 186*20 contre 6574, ou 5 '^'^It^^ contre 1 . qu'il ne vivra pas 54 ans. 18790 contre 6204 , ou 3 ^y^j contre 1. qu'il ne vivra pas 55 ans.

1 l4 DE l'homme.

18963 contre 5o3i, ou 5 *y25 contre 1, qu'il ue vivra pas 56 ans. 19137 contre 4^67 , ou 3 ^y^g contre 1 , qu'il ne vivra pas 67 ans. 19314 contre 4680, ou 4 Va6 contre 1 , qu'il ne vivra pas 58 ans. 19493 contre 4^01 » ou 4 ^Vis contre 1 , qu'il ne vivra pas 59 ans. 19676 contre 43 18 , ou 4 ^V/,3 contre 1 , qu'il ne vivra pas 60 ans. 19861 contre 4i35, ou 4 ^V^i contre 1 , qu'il ne vivra pas 61 ans. 20047 contre 3947 ^ ou 5 y^j contre 1 , qu'il ne vivra pas 62 ans. 20256 contre 3758, ou 5 ^y^^ contre 1 , qu'il ne vivra pas 63 ans. 20426 contre 3568 , ou 5 y, contre 1 , qu'il ne vivra pas 64 ans. 20623 contre 3371 , ou 6 ^ /^^ contre 1 , qu'il ne vivra pas 65 ans. 90819 contre 3i75 , ou 6 ^yjj contre 1 , qu'il ne vivra pas 66 ans. 21014 contre 2980 , ou 7 ^29 contre 1 , qu'il ne vivra pas 67 ans. 21208 contre 2786, ou 7 ^yj, contre 1 , qu'il ne vivra pas 68 ans. 21399 contre 2595, ou 8 ^/^^ contre 1, qu'il ne vivra pas 69 ans. 21589 contre 24o3 , ou 8 ^^/24 contre 1 , qu'il ue vivra pas 70 ans. 21778 contre 2216, ou 9 ^/^^ contre i, qu'il ne vivra pas 71 ans. 21966 contre 2028, ou 10 ^/^ contre 1 , qu'il ne vivra pas 72 ans. 22i53 contre 1841, ou 12 ^^^ contre 1, qu'il ne vivra pas 73 ans. 22334 contre 1660 , ou i3 ^/^g contre 1, qu'il ne vivra pas 74 ans. 225ii contre \t\^o, ou i5 ^/^^ contre i, qu'il ne vivra pas 75 ans. 22686 contre i3o8, ou 17 ''/^g contre 1, qu'il ne vivra pas 76 ans. 22860 contre ii34, ou 20 ^^/^j contre 1, qu'il ne vivra pas 77 ans. 23o3o contre 964, ou 24 contre 1, qu'il ne vivra pas 78 ans. 23287 contre 807 , ou 28 ^^/gj contre 1, qu'il ne vivra pas 79 ans.

2333 1 contre 663, ou 35 ^/gj contre 1, qu'il ne vivra pas 80 ans. 23454 contre 54o , ou 43 ^^^/s^ contre 1, qu'il ne vivra pas 81 ans.

23557 contre 437 , ou 53 ^^/^j contre 1, qu'il ne vivra pas 82 ans.

2364o contre 354 •> o^ 66 2^/35 contre 1, qu'il ne vivra pas 83 ans

23703 contre 291, ou 81 *^/„9 contre 1, qu'il ne vivra pas ^[\ ans.

23757 contre 257, ou 100 ^/jg contre 1 , qu'il ne vivra pas 85 ans.

238oi contre 193, ou laS^/^g contre 1, qu'il ne vivra pas 86 ans.

23839 contre i55, ou i53 ^/^ contre 1, qu'il ne vivra pas 87 ans.

20871 contre i23, ou 194 contre 1, qu'il ne vivra pas 88 ans.

25891 contre io5 , ou 202 contre 1, qu'il ne vivra pas 89 ans.

20909 contre 85 , ou 281 ^^/'gj contre 1, qu'il ne vivra pas 90 an^.

23925 contre 69, ou 546 ^^/gg contre t, qu'il ne vivra pas 91 ans.

25959 contre 55 , ou Zi55 1^/55 contre 1, qu'il ne vivra pas 92 ans.

25951 contre 4^ , ou 557 contre 1, qu'il ne vivra pas 93 ans.

23961 contre 33, ou 726 */ii contre 1, qu'il ne vivra pas 94 ans.

23970 contre 24 , ou 998 ^/^ contre 1, qu'il ne vivra pas 95 ans.

TABLE I)i:s PROBABILITÉS DE LA VIE. Il5

u3977 contre 17, ou il{io '/^^ coutio 1, qu'il ne vivra pas 9G aus. 25982 contre 12 , ou 1998 ^/j contre 1, qu'il ne vivra pas 97 ans. 23986 contre 8 , ou 9998 ^/^ contre 1, qu'il ne vivra pas 98 ans. 23989 contre 5, ou 4798 ''j^ contre 1, qu'il ne vivra pas 99 ans. 20992 contre a , ou 11996 contre 1, qu'il ne vivra pas 100 ans.

Voici les vérités que nous présente cette table.

Le quart du genre humain périt pour ainsi dire avant d avoir vu la lumière, puisqu'il en meurt près d'un quart dans les premiers onze mois de la vie , et que , dans ce court espace de temps , il en meurt beaucoup plus au dessous de cinq mois qu'au dessus.

fiC tiers du genre humain périt avant d'avoir atteint l'âge de vingt- trois mois , c'est-à-dire avant d'avoir fait usage de ses membres et de la plupart de ses antres organes.

La moitié du genre humain périt avant l'âge de huit ans un mois , c'est à-dire avant que le corps soit développé , et avant que l'âme se manifeste par la raison.

Les deux tiers dn genre humain périssent avant l'âge de trente-neuf ans, en sorte qu'il n'y a guère ((u'un tiers des hommes qui puisse propager l'espèce , et qu'il n'y en a pas un tiers qui puisse prendre état de consistance dans la société.

Les trois quarts du genre humain périssent avant l'âge de cinquante- un ans , c'est-à-dire avant d'avoir rien achevé pour soi-même, peu fait pour sa famille, et rien pour les autres.

De neuf enfants qui naissent , un seul arrive à soixante-dix ans ; de trente-trois qui naissent, un seul arrive à quatre-vingts ans; un seul sur deux cent quatre-vingt-onze qui se traîne jusqu'à quatre-vingt-dix ans , et enfin un seul sur onze mille neuf cent quatre-vingt-seize qui languit jusqu'à cent ans révolus.

On peut parier également 11 contre qu'un enfant qui vient de naître, vivra un an et n'en vivra pas quarante-sept ; de même 7 contre 4, qu'il vivra deux ans, et qu'il n'en vivra pas trente-quatre;

i3 contre 9 qu'il vivra 3 ans, et qu'il n'en vivra pas 27 ; 6 contre .5 qu'il vivra 4 ans, et qu'il n'en vivra pas 19; i5 contre 11 qu'il vivra 5 ans, et qu'il n'en vivra pas 18; 12 contre 1 1 qu'il vivra 6 ans, «t qu'il n'en vivra pas i5; et enfin 1 contre 1 qu'il vivra 8 ans un mois , et qu il ne vivra pas 8 ans et 2 mois.

1 l6 DE l'iIOM.ME.

La vie moyenuc , à la prendre du jour de la naissance, est donc de huit ans à peu près, et je suis fâché qu'il se soit glissé dans les tables (juc j'ai publiées une faule d'impression, sur laquelle il paroît qu'un de nos plus grands géomètres* s'est fondé lorsqu'il a dit que la vie moyenne des enfants nouveau-nés est à peu près de quatre ans. Cette faute d'impression est à la page 4i de cette Histoire naturelle, au bas du premier tableau de la cinquième colonne verticale il y 1*2477? *-'* il faut lire 1 5477; ce qui se trouve aisément en soustrayant le qua- trième nombre 10617 de la pénultième colonne transversale du pre- mier nombre 23994.

Un homme âgé de soixante-six ans peut parier de vivre aussi long- temps f[u'un exilant qui vient de naître ; et par conséquent un père qui n'a point atteint lâge de soixanto-six ans, ne doit pas compter que son fils qui vient de naître lui succède, puisqu'on peut parier qu'il vivra plus long temps que son fds.

Do même, un homme âgé de cinquante-un ans ayant encore seize ans vivre , il y a 2 contre un à parier que son fils c{ui vient de naître ne lui survivra pas; il y a trois contre 1 pour un homme de trente-six ans, et quatre contre 1 pour un homme de vingt-deux ans ; un père de cet âge pouvant espérer avec autant de fondement trente-deux ans de vie pour lui que huit pour son fils nouveau-né.

Une raison pour vivre est donc d'avoir vécu ; cela est évident dans lori sept premières années de la vie, le nombre des jours que l'on doit espérer va toujours en augmenlant, et cela est encore vrai pour tous les autres âges , puisque la probabilité de la vie ne décroît pas aussi vite que les années s'écoulent, et qu'elle décroît d'autant moins \ite que l'on a vécu plus long-temps. Si la probabilité de la vie dé- croissoit comme le nombre des années augmente, une personne de dix ans, qui doit espérer quarante ans de vie , ne pourroit en espérer que trente lorsqu'elle auroit atteint l'âge de vingt ans ; or il y a trente- trois ans et cinq mois au lieu de trente ans d'espérance de vie. De même un homme de trente ans , qui a vingt-huit ans à vivre, n'en au- roit plus que dix-huit lorsqu'il auroit atteint l'âge de quarante ans, et Ion voit qu'il doit en espérer vingt-deux. Un homme de cinquante ans, qui a seize ans sept mois à vivre, n'auroit plus à soixante ans que six ans sept mois, et il a onze aos un mois. Un homme de soixante- dix ans , qui a six ans deux mois à vivre , n'auroit plus qu'un an deux mois à soixante quinze-ans, et néanmoins il a quatre ans et six mois.

\. M. d'Al';mberl , Opuscules niatliéinatiqua , 1. II ; il Métaiiga, t. V

TABLE DES PllOli A BILITES DE LA VIE. II7

lùiOa ua homme de qualre-vingls ans, qui ne doit espérer que trois ons et sept mois de vie, peut encore espérer tout aussi légitimement trois ans lorsqu'il a atteint quatre-vingt-cinq ans. Ainsi plus la mort s'approche et plus sa marche se ralentit ; un homme de quatre-vingts ^lus , qui vit un an de plus, gagne sur elle cette année presque tout entière, puisque de quatre-vingts à quatre-vingt-un ans,