LE LITirÉRAXEUR UNIX/EFISEL
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3ome ANNÉE
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LE LITTERATEUR
tJWITERSBL.
LITTÉRATURE ANCIENNE.
LATINS. QUINTE CURCE.
BATAILLE d'iSSUS.
ï)arius ayant envoyé son ar(;ent et ce qu'il avait de plus précieux à Damas , sou;; bonne escorte , marcha avec le gros de son armée vers la Cilicie ; sa femme et sa mère, avec les princesses, ses fdles, et le petit prince, son fils , selon la coutume de la na- tion , marchaient à la suite de l'armée. Il se rencontra qu'en cette même nuit , Alexandre arriva au Pas de Syrie , et Da- rius à cet autre endroit qu'on appelle les Pyles.Amaniques. Les Perses, trouvant la ville d'Ysse abandonnée par les Macédo- niens , ne doutèrent point qu'ils n'eussent pris la fuite, et furent d'autant plus con- firmés dans cette opinion , qu'ils trouvè- rent sur le chemin quelques soldats , qui , blessés ou malades, n'avaient pu suivre l'armée. Darius leur fit coriper et brûler les mains, à la persuasion des grands de la cour , gens pleins d'inhumanité , pui s commanda qu'on les ramenât par tout 1 e camp, afin qu'ils vissent ses forces, et qu'après les avoir bien, contemplées , ils c u fissent rapport à leur roi.
i^. LIVRAISOTTÎ 3» AHWiS.
Ayant donc levé son camp , il passa la rivière de Pinare , pour prendre en queue les fuyards , selon son opinion ; mais lea prisonniers à qui l'on avait coupé les mains, et que l'on avait ensuite relâchés , étant retournés au camp des Macédoniens , rap- portèrent que Darius s'avançait avec dili- gence : ce que l'on eût peine à croire ; tel- lement que le roi envoya du côté de la mer pour reconnaître s'il venait en personne, ou seulement quelqu'un de ses lieutenans avec une partie de ses troupes qu'on eût prises pour l'armée entière. IMais , comme les coureurs revenaient , on découvrit au loin une multitude effroyable d'hommes , puis des feux de tous côtés, en si grand nombre qu'on eût dit que toute la campa- {;ne était incendiée. En effet , l'armée de Darius, si nombreuse et si mal ordonnée, venant à camper, occupait une immense étendue de pays , surtout à cause des ba- gages et de l'attirail qu'elle traînait après elle.
Alexandre campa au lieu même où il se trouvait, et se fortifia de fossés et de palis- sades, témoignant une joie incroyable de voir enfin son désir accompli , qui était de combattre dans ces détroits , où les dieux semblaient avoir amené Darius pour le li-
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paroles insolentes de Darius , venant leur demander eu tribut (a terre et l'eau , comme marque d'une infâme servi- tude. Il ajoutait que Xercès avait inondé leur pavs de tant d'iioinmes et d'ani- maux, qu'ils avaient tari 'les funtaines, épuisé les rivières , et consommé toutes les productions de la nature; qu'ils avaient en outre saccagé leurs villes, brun- ies temples de leurs dieux , et violé tous droits divins ctliumains.
Puis, s'adressant aux Illyrlens et aux Thraces, gens accoutumés à vivre de ra- pines, il leur iiiisait contempler l'armée ennemie toute étincelante d'or et de pour- pre, moins chargée d'armes que de butin. « Allez donc, leur disait-il, vous quiètes «< des hommes , ôter tant de joyaux à ces « femmes , et changez vos montagnes cou- a vertes d'une neige éternelle avec les o belles plaines et les riches campagnes de « la Perse. »
Dès que les deux armées arrivèrent .'•. li portée du traitjla cavalerie des Perses char- gea avec fureur- l'aile gauche de Tenneuii ; et c'était en effet avec sa cavalerie que Darius désirait le plus combattre , sachant bien que la plus grande force des Macé- doniens était dans leur phalange. On com- mençait même à investir l'aile droite d'A- lexandre , lorsque , s'en étant aperçu , il ne laisse que deux escadrons sur la mon- tagne , et mène rapidement les autres au fort de la mêlée; puis, détachant de sa ligne de bataille la cavalerie ihessalicnne , il ordonna à celui qui la con^naudait de passer secrètement derrière les bataillons pour se jouidre à Parmcnion et prendre ses ordres.
Déjà,en effet, l'infanterieinacédonlenne, enveloppée de tous côtés par les Perses , se défendait vainement avec la plus grande valeur ; les rangs étaient si serrés les uns contre les autres, qu'il devenait impossible aux soldats de laucer leur javelot, et s'ils en
LE LITTERxVTEUR
lançaient, les traits se rencontrant o IVir, se heurtaient et retombaient san effet; ou s'ils arrivaient aubut,ils éuiensi fai- bles qu'ils toucliaient à peine, fans la nécessité de conduattre de près , ilaiùrcnt l'épée à la main, et alors il se fit ui grand carnage. Les deux armées claicn telle- ment rapprochées qu'on se battait oips à corps , et que l'on se portait la pinte de i'épéc au visage. Les soldats des dux ar- mées combattaient de pied ferme et omine en champ clos, et ne pouvaient vancer sans se faire devant eux une place ide en tuant un ennemi. Alors seulemenils fai- saient un pas, mais pour trouvei hale- tans et harassés de fatigues , un no vel ad- versaire frais et dispos. Les blessés e pou- vaient quitter le champ de batailh omnic d'ordinaire, parce qu'ils tombaict entre l'ennemi qui les tenait en tète, c leun propres gens qui venaient derrièri(?uï.
Alexandr»? était dans cette horrilemé- lée, à la fois soldat et capitaine, et i cher- chait que la gloire de tuer DariL de sa propre main. Comme, en effet, leinnarque perse paraissait au loin élevé sur so char, il excitait les siens à le défendre vaureu- reusement , et l'ennemi à l'attaqu .Aussi son frère Oxathrcs, voyant qu'AUandre le poiU".-uivait vivement, se jeta levant son chariot avec sa cavalerie, seaisant remarquer à sa taille, autant qu'as valeur ot à l'éclat de ses armes. Ce prini^ plein de vaillance et de dévoûmcnt par son sonverain , témoigna de l'un et de 'autre en cette occasion , où il se signal entre tous les siens, passant sur le venlreiceui qui s'avançaient trop, et mettant h autres en fuite. 3Iais les Macédoniens , aimes par la présence d'Alexandre, s'eroura- geant les uns les autres , rompent t te ca- valerie et en font bientôt un horri! car-
nage.
On voyait autour du tl.arriot (h anus plusieurs grands seigneurs et liau capi-
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UJNIVERSEL.
;nes, tous étendus, blessés par devant et . ticlu's sur le visa^je, delà manière dont ils I lient tomljrs en dcf(îndant le roi. Entre rttves, on reconnaissait un Atizez, un 13éo- jétre et un Sabacco, gouverneur d'E- ; pte , qui avait autrefois commande de \illantes armées. Ils avaient autour d'eux u grand nombre de soldats de toutes ar- ics , tous entassés les uns sur les autres.
y eut peu de morts du côté des Macé- )niens, si ce n'est ceux qui donnèrent > premiers avec le plus de lurie, et parmi squels Méandre fut blessé d'un coup épée à la cuisse droite. Cependant les levaux qui traînaient Darius , étant déjà )ii8 blessés , se cabraient par la violence o leurs douleurs , et secouaient le jouî^ rec tant de violence, qu'ils allaient ren- erser le prince , lorsque , craipjnant de nnber vif entre les mains de l'ennemi ,
se jette à bas , monte à clieval, et se let en fuite avec une faible escorte, dé- Hiillant même les insignes de la royauté, our n'être pas reconnu. Alors le reste de l'armée se prit à làclier led , et bientôt se sauva dans toutes les irections , jetant bas les armes qu'elle , ait prises pour sa défense , tant la ter- nir rend inutiles les précautions les plus aturelles. La cavalerie , commandée par arménion , poursuivait les fuyards qui aient tous venus donner tête baissée dans s rangs. Mais à l'aile droite, les Barbares ■rraient de près la cavalerie thessalienne, L avaient du premier cboc renversé un de .'S escadrons, lorsque les Thessaliens, re- )urnant leurs chevaux , revinrent brave- lent à la charge , et trouvant les Perses ans le désordre et l'ivresse d'une préten- ue victoire, les rompirent facilement et n firent un grand carnage. Les chevaux es Perses et le'irs cavaliers étaient si pe- amment armés , qu'ils ne pouvaient qu'à >eine se retourner, tandis que lesThcssa- iens,faisant tourner leurs chevaux à toutes
mains, frappaient facilement , tuaient ou faisaient des prisonniers.
Alexandre ayant appris la nouvelle de cette victoire , lui qui n'arait osé avant pousser les Barbares, et se voyantmaître du champ de bataille, se mit à poursuivre les fuyards. Il n'avait que mille chevaux avec lui, 'et cependant il taillait l'ennemi en pièces. Mais qui, dans le feu de la vic- toire ou dans l'elîroi de la défaite, compte ses ennemis? Cette poignée de gens chas- sait devant elle les fuyards comme un troupeau de moutons, et la même ter- reur qui les avait d'abord mis en fuite les glaçait en ce moment et retardait leur course. Cependant les Grecs qui étaient à laj solde de Darius et sous le commande- ment d'Amynthas, autrefois lieutenantd'A- lexandre , s'étant détachés du reste de l'ar- mée en fuite , exécutèrent une retraite honorable. Pour les Barbares, ils prirent tous une route différente : les uns suivi- rent la route qui conduisait en Perse ; d'autres gagnèrent les bois etles montagnes écartées , et bien peu retournèrent dans leur camp. Aussi le vainqueur s'en était déjà rendu maître et l'avait saccagé, l'ayant trouvé plein de richesses et d'une grande quantité d'or, ce qui n'était pas tant un fond pour la guerre qu'une vaine magnificence; et comme il contenait plus de butin que les soldats ne pouvaient en emporter , les chemins étaient couverts de bardes et de débris que le vainqueur avait dédaignés. On était déjà venu jusqu'aux femmes , à qui on arrachait leurs bagues et leurs or- nemens , et cela avec d'autant plus de violence qu'elles faisaient plus de résis- tance pour les garder. Le meurtre même et le viol ne furent pas épargnés; de sorte c|ue tout le camp était une vaste scène de désolation où retentissaient les cris et les gémissemens , et où s'agitaient toutes les douleurs humaines. On ne saurait dire tout ce que cette journée éclaira d'horreurs:
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LE LITTERATEUR
paroles insolentes de Daiius , venant leur demander en tribnt la terre et l'eau , comme marque d'une infdnie servi- tude. Il ajoutait que Xercès avait inondé leur pays de tant d'iionimes et d'ani- maux , qu'ils avaient tari les fontaines , épuisé les rivières , et consommé toutes les productions de la nature; qu'ils avaient en outre saccagé leurs villes, brûlé les temples de leurs dieux , et violé tous droits divins et humains.
Puis, s'adressant aux lUyriens et aux Tliraces , gens accoutumés à vivre de ra- pines, il leur faisait contempler l'armée ennemie toute étincelante d'or et de pour- pre, moins chargée d'armes que de butin. « Allez donc, leur disait-il, vous quiètes « des hommes , ôter tant de jovaux à ces « femmes , et changez vos montagnes cou- o vertes d'une neige éternelle avec les o belles plaines et les riches campagnes de « la Perse. »
Dès que les deux armées arrivèrent à la portée du trait^la cavalerie des Perses char- gea avec fureur l'aile gauche de l'ennemi ; et c'était en effet avec sa cavalerie que Darius désirait le plus combattre , sachant bien que la plus grande force des ÎMacé- donieus était dans leur phalange. On com- mençait même à investir l'aile droite d'A- lexandre , lorsque , s'en étant aperçu , il ne laisse que deux escadrons sur la mon- tagne , et mène rapidement les autres au fort de la mêlée; puis, détachant de sa ligne de bataille la cavalerie thessalicnne , il ordonna à celui qui la commandait de passer secrètement derrière les bataillons pour se joindre à Parménion et prendre ses ordres.
Déjà, en effet, l'infanterie macédonienne, enveloppée de tous côtés par les Perses , se défendait vainement avec la plus grande valeur; les rangs étaient si serrés les uns contre les autres, qu'il devenait impossible aux soldats de lauccr leur javelot, et s'ils eu
lançaient, les traits se rencontrant en l'air, se heurtaient et retombaient sans effet ; ou s'ils arrivaient au but, ils étaient si fai- bles qu'ils touchaient à peine. Dans la nécessité de combattre de près , ils mirent l'épée à la main, et alors il se fit un grand carnage. Les deux armées étaient telle- ment rapprochées qu'on se battait corps à corps, et que l'on se portait la pointe de l'éjîée au visage. Les soldats des deux ar- mées combattaient de pied ferme et comme en champ clos, et ne pouvaient avancer sans se faire devant eux une place vide en tuant un ennemi. Alors seulement ils fai- saient un pas , mais pour trouver , hale- tans et harassés de fatigues , un nouvel ad- versaire frais et dispos. Les blessés ne pou- vaient quitter le champ de bataille comme d'ordinaire, parce qu'ils tombaient entre l'ennemi qui les tenait en tète , et leurs propres gens qui venaient derrière eux.
Alexandre était dans cette horrible mê- lée, à la fois soldat et capitaine, et ne cher- chait que la gloire de tuer Darius de sa jnopre main. Comme, en effet, le monarque perse paraissait au loin élevé sur son char, il excitait les siens à le défendre valeureu- reusement , et l'ennemi à l'attaquer. Aussi son frère Oxathres, voyant qu'Alexandre le poursuivait vivement, se jeta devant son chariot avec sa cavalerie, se faisant remarquer à sa taille, autant qu'àsa valeur et à l'éclat de ses armes. Ce prince , plein de vaillance et de dévoùment pour son souverain , témoigna de l'un et de l'autre en cette occasion , où il se signala entre tous les siens , passant sur le ventre à ceux qui s'avançaient trop, et mettant les autres en fuite. IMais les Macédoniens , animés par la présence d'Alexandre, s'cncoura- géant les uns les autres , rompent cotte ca- valerie et en font bientôt un horrible car- nage.
On voyait autour du charriot de Darius plusieurs grands seigneurs et hauts capi-
UNIVERSEL.
taines, tous étendus, blessés par devant et couchés sur le vlsnge, delà manière dont ils étaient tombés en défendant le roi. Entre autres, on reconnaissait un Atizez, un Béo- mètre et un Sabacco , (;ouverncur d'E- gypte , qui avait autrefois commandé de vaillantes armées. Ils avaient autour d'eux un grand nombre de soldats de toutes ar- mes , tous entassés les uns sur les autres. Il y eut peu de morts du côté des Macé- doniens, si ce n'est ceux qui donnèrent les premiers avec le plus de furie, et parmi lesquels Méandre fut blessé d'un coup d'épée à la cuisse droite. Cependant les chevaux qui traînaient Darius , étant déjà tous blessés , se cabraient par la violence de leurs douleurs , et secouaient le joug avec tant de violence, qu'ils allaient ren- verser le prince , lorsque , craignant de tomber vif entre les mains de l'ennemi , il se jette à bas , monte à cheval, et se met en fuite avec une faible escorte, dé- pouillant même les insignes de la royauté, pour n'être pas reconuu.
Alors le reste de l'armée se prit à lâcher pied , et bientôt se sauva dans toutes les directions , jetant bas les armes qu'elle avait prises pour sa défense , tant la ter- reur rend inutiles les précautions les plus naturelles. La cavalerie , commandée par Parménion , poursuivait les fuyards qui étaient tous venus donner tctc baissée dans ses rangs. 3Iais à l'aile droite, les Barbares serraient de près la cavalerie thessalienne, et avaient du premier choc renversé un de ses escadrons, lorsque les Thessahens, re- tournant leurs chevaux , revinrent brave- ment à la charge , et trouvant les Perses dans le désordre et l'ivresse d'une préten- due victoire, les rompirent facilement et en firent un grand carnage. Les chevaux des Perses et lenrs cavaliers étaient si pe- samment armés, qu'ils ne pouvaient qu'à peine se retourner, tandis que lesTliessa- liens, faisant tourner leurs chevaux à toutes j
mains, frappaient facilement , tuaient ou faisaient des prisonniers.
Alexandre ayant appris la nouvelle de cette victoire, lui qui n'a7ait osé avant pousser les Barbares, et se voyant maître du champ de bataille, se mit à poursuivre les fuyards. Il n'avait que mille chevaux avec lui, et cependant il taillait l'ennemi en pièces. 3Iais qui, dans le feu de la vic- toire ou dans TelFroi de la défaite, compte .ses ennemis? Cette poignée de gens chas- sait deva)it elle les fuyards comme un troupeau de moutons, et la même ter- reur qui les avait d'abord mis en fuite les glaçait en ce moment et retardait leur course. Cependant les Grecs qui étaient à la^ solde de Darius et sous le commande- ment d'Amynthas, autrefois lieutenant d'A- lexandre , s'étant détachés du reste de l'ar- mée en fuite , exécutèrent une i etraite honorable. Pour les Barbares, ils prirent tous ime route différente : les uns suivi- rent la route qui conduisait en Perse ; d'autres gagnèrent les bois etles montagnes écartées , et bien peu retournèrent dans leur camp. Aussi le vainqueur s'en était déjà rendu maître et l'avait saccagé, l'avant trouvé plein de richesses et d'une grande quantité d'or, ce qui n'était pas tant un fond pour la guerre qu'une vaine magnificence; et comme il contenait plus de butin que les soldats ne pouvaient en emporter, les cliemins étaient couverts de bardes et de débris que le vainqueur avait dédaignés. On était déjà venu jusqu'aux femmes , à qui on arrachait leurs bagues et leurs or- nemens , et cela avec d'autant plus de violence qu'elles faisaient plus de résis- tance pour les garder. Le meurtre même et le viol ne furent pas épargnés; de sorte que tout le camp était une vaste scène de désolation où retentissaient les cris et les gémissemens, et où s'agitaient toutes les douleurs humaines. On ne saurait dire tout ce que cette journée éclaira d'horreurs:
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la cruauté et la dernière licence'ayant dé- bordé sur tous les âges et tous les sexes. Mais rien ne fit tant paraître l'extrême puissance de la fortune que de voir les mêmes officiers qui avaient dressé à Darius une tente si magnifique , veiller à la garde de toutes ces richesses , et les conserver pour Alexandre , comme ils l'avaient fait pour leur ancien maître; car c'était la seule chose à laquelle les soldats n'eussent pas touché : la coutume étant d'attendre le vainqueur dans la tente du vaincu.
Cependant la mère et la femme de Da- rius , qui étaient demeurées prisonnières , attiraient tous les regards et les cœurs. L'une était vénérable par son âge et la ma- jesté de sa personne ; l'autre par sa beauté que son extrême douleur n'avait pas alté- rée. Elle tenait entre ses bras son fils , qui n'avait encore que six ans , et qui était né dans l'espérance de cette gloire et du sort fastueux que son père venait de perdre. On voyait aussi deux jeunes princesses prêtes à marier, couchées dans le giron de la reine leur grand'mère, et qui, touchées de son malheur et de leurs propres infor- tunes, fondaient en larmes. Autour d'elles une foule de nobles dames déchiraient leurs vêtemens et s'arrachaient les che- veux, n'ayant plus ni faveur ni dignité; elles appelaient ces princesses leurs maî- tresses et leurs reines , nom qu'elles pos- sédaient avant à juste titre , mais qu'elles avaient maintenant perdu. Enfin, oubliant leur propre désolation , elles ne s'enqué- raient plus que de Darius , de quel côté il avait combattu , et quelle avait été l'issue
du combat ; elles se disaient qu'elles ne devaient pas se croire captives , si le roi était encore vivant. Mais le malheureux prince , changeant de chevaux à toute heure, était déjà bien loin. Il périt en cette bataille, du coté des Perses, cent mille fantassins et dix mille chevaux; du côté d'Alexandre il y eut cinq cents quatre blessés et quatre cents morts, cavaliers et fantassins , tant il eut bon marché de cette victoire.
Le roi, las de poursuivre Darius, voyant que la nuit approchait et qu'il ne pouvait l'atteindre , retourna au camp des enne- mis que ses soldats venaient de piller, et donna un grand festin aux seigneurs de sa cour : sa blessure ne l'empêchant pas d'y assister, tant elle était légère. Mais ils ne furent pas plutôt à table, qu'ils entendirent dans la tente voisine un grand bruit mêlé de gémissemens qui effrayèrent tous les assistans, de telle manière que les senti- nelles coururent aux armes dans la crainte d'une alarme. C'était la femme et la mère de Darius , qui croyaient ce prince mort , et les autres dames captives qui le pleu- raient à la manière des Barbares, avec des cris et des hurlemens épouvantables. Ce qui leur avait fait croire à la mort de Da- rius , c'est qu'un eunuque avait vu entre les mains d'un soldat le manteau que Da- rius avait jeté de peur d'être reconnu, et, s'imaginant que ce soldat n'avait arraché ce manteau qu'avec la vie du monarque, il était venu porter cette fausse nou- velle.
Qcinte-Clrce. (^Trad.Àe M. yaugelas.)
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UMVERSEL.
LITTÉRATURE DU MOYEN-AGE.
LE SERMENT
DE LOUIS LE GERMANIQUE.
(842)
^Premier monument historique de la langue romane. )
Pro Deo amur et pro Xvistian Poblo et nostro commun Salvameat , d'isst tli en vant, in quant Deus sorir et podir me dunat, si salvari eo clst nieon fradre Kailo, et in adjuda et in Couiiuna cosa , si eum omper dreit son fadra Salvar dist, in o quid il mi altresifazet : et ob Ludher mel plaid nunquam prindiai qui, meon vol, cist meon fradre Karle in domno si t.
SERMENT DU PEUPLE FRANÇAIS.
Si Lodunigs sagrament , que son fradre Karlo jurât, conservât ; et Karlus, meos sendra , de suo part non lo stanit ; si io re- turnor non sint pois , ne io , ne ceulx cui eo returner int sois> in niella adjudlue con- tra Lodhuwig men li iver.
TRADUCTION.
Pour l'amour de Dieu et pour notre commun salut et celui du peuple chrétien, dorénavant autant que Dieu savoir et pouvoir me donnera , je soutiendrai mon frère Charles , ici présent , par aide et en toute chose, comme il est juste que l'on soutienne son frère, tant qu'il sera de même pour moi ; et jamais avec aucun ne ferai traité qui, de ma volonté , soit pré- judiciable à mon frère Charles.
Si Louis garde le serment qu'à son frère Charles il jure, et si Charles, moa seigneur,
de son côté me le maintient , si je ne puis l'y ramener , ni moi , ni aucun autre , je ne lui donnerai aucun aide contre Lodwig.
FRAGMENT DU CID. [Extrait du Romancero .)
Le Cid emprunte cinq cents marcs d'ar- gent à un Juif, rassemble quelques cen- taines de cavaliers , et va combattre les 3iaures. Après de grands exploits, dont il fait hommage à l'ingrat Alphonse , le Cid s'empare de Yalence où il fait venir sa femme et ses fdles.. Assiégé dans sa con- quête par l'empereur de Maroc , il rem- porte une grande victoire ; il se promet d'y trouver le trousseau de ses filles , que , pour plaire au roi Alphonse , il donne en mariage aux infans de Carion, Les filles du Cid , livrées à leurs indignes époux , sont maltraitées par eux et laissées pour mortes dans les bois de Carpez. Ramenées à leur père , leur vue excite sa vengeance ; il réclame justice auprès du roi Alphonse. Les cortès sont assemblés à Tolède ; on y voit, dit le Chroniqueur, les hommes les plus sages et les meilleurs de la Castille :
« Le cinquième jour, arriva mon Cid le Batailleur. Il envoya devant Alvar Fanez , pour baiser les mains du roi sou seigneur, bien qu'il svit qu'il arriverait le même soir. Quand le roi l'apprit, il fut touché. Il monta à cheval avec des grands , et alla recevoir celui qui était né dans une heure prospère. Le Cid vint à la ^hàte avec les siens , compagnies vaillantes qui ont un scigueur scuiblablc à ciks. Quand le boa
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LE LITTERATEUR
roi Alphonse le vit, le Cid le Batailleur se jeta à terre. Il voulait s'abaisser et honorer son seigneur. Quand le roi l'entendit , il ne tarda pas un moment : « Par saint Isi- « dore, en vérité , cela ne sera pas aujour- « d'hui ; à cheval , Cid , sinon je ne serais « pas content. Nous vous saluons d'ame « et de cœur ; mon esprit est affligé de ce « qui vous pèse. Dieu veut que votre pré- « sence honore aujourd'hui la Cour. — «1 Jmen , dit mon Gid le Batailleur. »
Il baisa la main du roi , et il salua : « Grâces soient vendues à Dieu quand je « vous vois ; je me soumets à vous et au « comte don Henrique, et à tous ceux « qui sont ici ; Dieu sauve nos amis , et « surtout vous, Seigneur. Mon épouse u dona Ximena est une dame d'honneur ; « elle vous baise les mains, parce que ce
• qui nous afflige vous pèse , Seigneur. » — Le roi répondit : « Qu'il se fasse ainsi. >>
« Le roi retourna vers Tolède. « Cette « nuit , dit mon Cid , je ne veux pas aller M plus loin ; grâces soient rendues au roi , « et que Dieu vous favorise ! Rentrez «c dans la ville , Seigneur ; moi , avec les « miens , je m'arrêterai à St.-Sorvan. Mes
• compagnies resteront là cette nuit ; je « ferai la veille dans ce saint lieu. Demain « matin, j'entrerai à la ville , et j'irai à la « cour avant le déjeûner, » — Le roi dit : « Cid , il me plaît ; ?» et il entra dans To- lède. Mon Cid lluy Diaz était demeuré à Saint. -Servan. Il ordonna d'allumer des cierges et de les poser sur l'autel. Il eut le désir de veiller dans le sanctuaire même, en priant le créateur ; ils dirent les ma- tines au point du jour ; la messe fut ache- vée avant le lever du soleil ; l'offrande du Cid fut bonne et complète. Mon Cid partit de St. -Servan pour la cour. A la porte du dehors , il descendit de cheval à son gré. Il entre prudemment avec tous les siens ; il marche entouré d'eux , au nombre de plus de cent. Qiuiucl on yit entrer j^cclui
qui était né dans une heure prospère , le roi don Alphonse , le roi don Henrique et le comte don Raymond se levèrent, et après eux tous les autres ; et ils reçurent le Cid avec grand honneur. Le roi dit au Cid : « Cà venez , Cid Batailleur , sur ce « siège que je vous dois, bien qu'il dé- « plaise à quelques-uns ; vous serez mieux « assis que nous. » Alors celui qui avait conquis Yalence lit beaucoup deremercie- mens : « Siégez sur votre banc , dit-tl , K comme roi et seigneur ;'je m'asseoirai là « avec les miens, »
« Le roi approuva du cœur ce que di- sait le Cid ; et mon Cid se plaça sur un banc. Les cent hommes qui le gardaient se mirent à l'entour. Tout ce qu'il y a de gens à la cour regardaient mon Cid et sa barbe longue liée par un cordon. Dans ses mouvemens il semblait bien un homme. Les infans de Carion , accablés de honte, ne pouvaient le regarder. Alors se leva de- bout le bon roi don Alphonse : « Ecoutez, « hommes d'armes , et que le créateur <( vous favorise. Depuis que je suis roi , je « n'ai pas fait plus de deux assemblées de « certes. La première fut à Burgos , et « l'autre à Carion. Je tiens cette troisième '« à Tolède aujourd'hui, pour l'amour de « mon Cid , né dans une heure prospère , « afin qu'il ait justice àes infans de Carion, « ils lui ont fait un grand tort, nous le « savons tous. Soient juges le comte don « Henrique , le comte don Raymond , et « vous autres comtes qui n'êtes d'aucun « parti , avec sagesse et prudence , parce « que vous êtes examinateurs, pour choi- « sir la justice. De part et d'autre soyons « en paix aujourd'hui. Je jure par saint « Isidore , celui qui engagera mes cortès à <i me quitter, perdra mon affection. JMain- « tenant, mon Cid , fais ta demande ; nous « saurons ce que répondent les infans de « Carioji. »
<i Mou Çid l>ai^ la iu<U£i du roi , et 9ç
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levant : «« Je vous remercie comme roi et « seigneur, de ce que vous tenez cette « assemblée pour l'amour de moi. Voici « ce que je demande aux infans de Ca- « rion : Pour mes filles qu'ils m'ont dé- « laissées, je ne me sens pas de désbon- •« neur , car vous les avez mariées , Hoi. •« Mais quand ils emmenèrent mes filles « de Yaleuce-la-Grande , bien que je les « aimasse de cœur et d'ame , je leur don- «1 nai deux épées , Colada et Tison . Je les « avais gagnées à la manière d'un baron , « pour me faire bonneur avec elles et vous « servir. Quaud ils abandonnèrent mes « filles dans les bois de Carpez, ils ne vou- « lurent plus avoir rien de commun avec « moi , et ils perdirent mon affection. « Qu'ils me donnent mes épées, puisqu'ils » ne sont plus mes gendres. »
« Les juges dirent: «i C'est raison. » — Le comte Garcia dit : « Xous discuterons « cela. * Alors les infans de Carion se re- tirèrent de suite avec leurs parens et le parti qu'ils ont là. Ils traitèrent vite la cbose, et s'accordèrent. ^ Le Cid le Ba- « tailleur nous fait grande amitié de ne M nous demander rien aujourd'bui pour u l'bonneur de ses filles; nous aurions « traité avec le roi don Alphonse. Don- «« nons-lui ses épées , puisque telle est sa «< demande; et quand il les aura reçues, « la cour peut se séparer ; le Cid le Ba- « tailleur n'aura plus d'autre justice de « nous. »
« Ayant ainsi parlé , ils revinrent à la cour : « Merci , roi don Alphonse , vous « êtes notre seigneur. Nous ne le pouvons « nier , il nous a donné deux épées. Puis- « qu'il nous les redemande et qu'il en a • envie , nous voulons les rendre devant « vous. >• Ils découvrirent les épées Colada et Tison , et les posèrent dans la main du roi leur seigneur. Il tira les épées et illu- mina toute l'assemblée. Les poignées et garoitures étaient tout ea or : tous ks'
vaillans hommes de la cour en furent émer- veillés.
Le Cid reçut les épées , baisa les mains du roi , et retourna au banc où il s'était levé. Il les tient dans ses mains et les re- garde de plus en plus. On n'avait pu les changer, car le Cid les connaît bien. Il tressaillit de joie dans tout son corps et sourit. Il leva la main et se prit la barbe : « Par cette barbe que personne n'a arra- « chée, qu'elles aillent venger dona Elvire « et dona Sol I » Et il appela son cousin, lui tend le bras, et lui remet Tison. « Prends-la, cousin, elle devient meil- .< leure par son maître. » Il tend le bras à Martin Antolinez de Burgos , et lui donne Colada. « jMartin Antolinez , preux vassal , « prenez Colada ; je l'ai gagnée sur un bon « seigneur, le comte don Raymond Bé- (t ranger de Barcelonne ; je vous la donne <i pour que vous en ayez grand soin. S'il « vous arrive de combattre avec elle , « vous gagnerez grand prix et grande es- « time. » Antolinez lui baisa la main , prit et reçut l'épée. Aussitôt mon Cid le Batail- leur se lève : « Grâces soient rendues au « créateur et à vous, Roi seigneur ! Je suis « payé maintenant de mes épées , Colada « et Tison. Mais j'ai autre chose à rede- « mander aux infans de Carion. Quand « ils emmenèrent de Valence mes deux « filles , je leur donnai , en or et en ar- « gent , trois mille marcs. Moi faisant cela, « ils ont agi comme vous le savez ; qu'ils « me donnent mon avoir , puisqu'ils ne « sont plus mes gendres. »
Les infans accablés cèdent encore à cette juste demande, qu'ils croient la dernière. Alors le Cid éclate en reproches sanglans ; il réclame , non plus des restitutions, mais la vengeance de l'outrage de ses filles, et il presse la cour de lui accorder le com- bat contre ces traîtres. Après un débat sur la dernière demande du Cid, les infans sojut assignés à paraître ca diauig clos ,
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LE LITTERATEUR
dans un délai de trois semaines. Le roi don Alphonse et toute sa cour viennent assister à ce combat, où les infans de Carion tombent vaincus par les champions du Cid. Enfin , pour achever la vengeance et la gloire du héros , ses deux filles ou- tragées sont demandées en mariage par les infans de Navarre et d'Aragon.
BERTRAM DE BORN.
STANCES.
Bien me plaît le doux printemps qui fait venir les feuilles et les fleurs. Il me plaît d'écouter la voix des oiseaux qui font retentir leurs chants par le bocage. Il me plaît de voir sur la pi-airie tentes et pa- villons plantés. Il nie plaît, jusqu'au fond dii cœur , de voir rangés dans la campagne cavaliers avec les chevaux armés. J'aime quand les coureurs font fuir gens et trou- peaux. J'aime quand je vois à leur suite beaucoup d'hommes d'armes ensemble ru- gir ; et j'ai grande allégresse quand je vois châteaux forts assiégés et murs croulans et déracinés , et que je vois l'armée sur le bord qui est tout à l'entour , clos de fossés avec des palissades gainies de forts pieux.
n me plaît le bon seigneur qui, le pre- mier, est à l'attaque avec un cheval armé , et se montre sans crainte, parce qu'il fait oser les siens par sa vaillante prouesse. Et quand il revient au camp , chacun doit s'empresser et le suivre de bon cœur. Car nul homme n'est prisé quelque chose, tant qu'il n'a pas reçu et donné bien des coups. Nous verrons les lances et les épées briser et dégarnir les casques de couleur , et dès l'entrée du combat^ les vassaux fi'ap- per l'ennemi , et fuir à l'aventure les chevaux des morts et des blessés ; et quand le combat sera bien mêlé, que nul homme de haut parage n'ait d'autre pensée que de couper têtes et bras : car mieux vaut un mort qu'un vivant vaincu. Je vous le dis , le manger , le boire , le dormir, n'ont pas tant de saveur pour moi que d'entendre crier de toutes parts « à eux ! » et d'entendre hennir chevaux dé- montés dans la forêt , et d'entendre crier : à l'aide I à l'aide I et de voir tomber petits et grands sur l'herbe , et de voir des morts qui ont des tronçons de lance dans leurs flancs traversés.
Barons, mettez en gage châteaux, villes et cités, afin que chacun de vous guerroie. Bertram de Born.
LITTÉRATURE MODERNE.
GOETHE.
LE BARDE.
■ « Qu'entends-je là bas à la porte ? Qui chante sur le pont-levis ? Il faut que ces chants se rapprochent de nous et réson- nent dans la salle. » Le roi dit au page : cours î Le page rcvjjat, et le roi crie:
« Que l'on fasse entrer le vieillard î » « Salut , nobles seigneurs , salut aussi , « belles dames ; je vois ici le ciel ouvert , « étoiles sur étoiles : qui pourrait en dire « les noms? Mais dans cette salle, toute « pleine de richesse et de grandeur , fer- « mcz-vous, mes yeux, ce n'est pas le « «iomcût d'adnijrer. »
UNIVERSEL.
it
Le Barde ferme les yeux et sa puis- sante voix résonne Les chevaliers lè- vent des yeux en feu ; les daines baissent leur doux regard. Le roi , charmé , envoie chercher une chaîne d'or pour récompen- ser un si beau talent.
« — Une chaîne d'or à moi I Donnez-en à vos chevaliers , dont la valeur brise les lances ennemies ; donnez à votre chance- lier ce fardeau précieux, pour qu'il l'ajoute aux autres qu'il porte. »
« Je chante , moi , comme l'oiseau chante dans le feuillage ; que des sons mélodieux s'échappent de mes lèvres : voilà ma récompense. Cependant , j'oserai vous faire une prière , une seule : qu'on me verse du nn dans la plus belle coupe , une coupe d'or pur. »
On approche la coupe de ses lèvres , il boit : « 0 liqueur douce et rafraîchissante ! « heureuse la maison où un tel don est « peu de chose I 3Iais dans le bonheur •t songez à moi î... Tous remercierez Dieu « d'aussi bon cœur que je vous remercie « pour cette coupe de vin. » Goethe.
DU MÊME.
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LE ROI DE THULE.
Ballade.
H était un roi de Thulé qui fut fidèle jusqu'au tombeau , et à qui son amie mou- rante fit présent d'une coupe d'or.
Cette coupe ne le quitta plus ; il s'en servait à tous les repas , et chaque fois qu'il y buvait , ses yeux s'humectaient de larmes.
Et lorsqu'il sentit son heure approcher, il compta ses villes, ses trésors, et les abandonna à ses héritiers, mais il garda sa coupe chérie.
Il s'assit à sa table royale , cntoiu*é de ses chevaliers, dans la salle antique d'un paUis que baignait la mer.
Ensuite il se leva , vida le vase sacré pour la dernière fois , et puis le lança dans les ondes.
Il le vit s'emplir , disparaître , et ses
yeux s'éteignirent soudain et, depuis,
il ne but plus une goutte.
Goethe.
SCHILLER.
Li. CHAXSOX DE LA CLOCHE.
«« Le moule d'argile s'est affermi dans « la terre qui l'environne : aujour - « d'hui , la cloche doit naître. Compa- « gnons , vite au travail I que la sueur « baigne vos fronts brûlans ! L'œuvre ho- « norera l'ouvrier si la bénédiction d'en » haut l'accompagne. »
Mêlons des discours sérieux au travail sérieux que nous faisons : de sages pa- roles en adouciront la peine. Observons attentivement le noble résultat de nos faibles efforts. Honte à l'être stupide qui ne peut pas compiendre l'ouvrage de ses mains! C'est le raisonnement qui ennobUt l'homme en lui dévoilant le motif et le but de ses travaux.
« Prenez du bois de sapin bien séché : •< la flaunme en sera chassée dans les tubes « avec plus de violence ; qu'un feu actif « précipite l'alliage du cuivre et de l'étain, « afin que le bronze fluide se répande en* « suite dans le moule. »
Cette cloche , qu'à l'aide du feu, nos mains auront formée dans le sein de la terre , témoignera souvent de nous dans sa haute demeure. Elle va durer bien des jours , ébranler bien des oreilles , soit qu'elle se lamente avec les affligés , soit qu'elle unisse ses accens à ceux de la prière : tout ce que l'inconstante destinée réserve aux mortels, elle le racontera dan» sa bouche d'airain.
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LE LITTERATEUR
« Des bulles d'air blanchissent la sur- it face. Bien I la masse devient mobile î « Laissons-la se pénétrer du sel alcalin qui « en doit faciliter la fusion. Il faut que le « mélange se purge de toute son écume, « aGn que la voix du métal retentisse pure « et profonde.»
C'est la cloche qui salue de l'accent de la joie l'enfant chéri qui naît au jour, en- core plongé dans les bras du sommeil : noire ou blanche , sa destinée repose aussi dans l'avenir ; mais les soins de l'amour maternel veillent sur son matin doré. — Jeune homme , il s'arrache aux jeux de ses sœurs, et se précipite dans la vie.... il court le monde avec le bâton de voyage, puis revient étranger au foyer paternel. C'est alors que la jeune fdle, noble image des deux , lui apparaît dans tout l'éclat de sa beauté , avec ses joues toutes roses de modestie et de pudeur.
« Com.me les tubes déjà brunissent! je « vais plonger ce rameau dans le creuset ; « s'il en sort couvert d'une couche vitrée, « il sera temps de couler. Allons ! compa- •« gnons , éprouvez-moi le mélange , et « voyez si l'union du métal dur au mé- « tal flexible s'est heureusement accom- « plie. »
Car , de l'alliance de la force avec la douceur, résulte une heureuse harmonie. Ceux qui s'unissent pour toujours doivent donc s'assurer que leurs cœurs se répon- dent. L'illusion est de peu de durée , le repentir 'éternel. — Avec quelle grâce la couttpnne virginale se joue sur le front de la feiine épouse , quand le son argentin (les cloches l'appelle aux pompes de l'hy- menl — Hélas ! la plus belle fête de la vie nous annonce aussi la fin du printemps ; avec la ceinture